L’ambiance propre au monde ambiant et la spatialité du Dasein


Dans le contexte de la première ébauche de l’être-situé (§ 12), il a fallu que nous délimitions le Dasein par rapport à un mode d’être dans l’espace que nous avons appelé l’inclusion catégoriale. Celle-ci veut dire : un étant ayant une étendue est enclos à l’intérieur des limites d’un autre étant, ayant lui-même une étendue. L’étant qui est intérieur et l’étant qui l’enclot sont tous deux substantiels dans l’espace. Néanmoins, le rejet d’une telle inclusion catégoriale du Dasein dans un contenant spatial ne prétendait pas exclure par principe toute spatialité du Dasein, mais prétendait seulement garder la voie libre menant à la vision de la spatialité qui est déterminante pour le Dasein. C’est cette dernière qu’il faut désormais mettre en évidence. Cependant, dans la mesure où, pareillement, l’étant qui est de façon intramondaine est dans l’espace, la spatialité dudit étant se tiendra en connexion ontologique avec le monde. C’est pourquoi il nous faut déterminer en quel sens l’espace est un constituant du monde, monde que, de son côté, nous avons caractérisé comme étant un moment structurel de l’être-au-monde. En particulier, il nous faut montrer comment l’ambiance, laquelle est propre au monde ambiant, autrement dit la spatialité spécifique de l’étant qui est présent dans le monde ambiant, est elle-même établie d’après le phénomène du monde, et à l’inverse, il nous faut montrer que, de son côté, le monde n’est pas substantiel dans l’espace. L’investigation portant sur la spatialité du Dasein et sur la détermination d’être spatial du monde part d’une analyse de l’étant intramondain utilisable dans l’espace. Notre réflexion parcourt trois étapes : 1°) La spatialité de l’étant intramondain utilisable (§ 22) ; 2°) la spatialité de l’être-au-monde (§ 23) ; 3°) la spatialité du Dasein et l’espace (§ 24).

§ 22 La spatialité de l’étant intramondain utilisable (5 al.)

Si l’espace contribue à constituer le monde, et cela en un sens qui reste à déterminer, on ne peut s’étonner du fait que, en caractérisant ontologiquement l’être de ce qui est intramondain, nous ayons dû envisager cet être comme intérieur à l’espace. Jusqu’à présent, cette spatialité propre à l’étant utilisable n’a pas été explicitement saisie de façon phénoménale, pas plus que n’a été mis en lumière le fait qu’elle était attachée à la structure d’être de l’étant utilisable. Telle est maintenant notre tâche. (22.al. 1)

Dans quelle mesure, lorsque nous avons caractérisé l’étant utilisable, nous sommes-nous déjà heurtés à la spatialité de celui-ci ? Il a alors été question de l’étant de prime abord utilisable. Cela ne veut pas uniquement dire l’étant qui à chaque fois est présent en premier, avant tout autre étant, mais cela vise en même temps l’étant qui est « dans la proximité » du Dasein. Dans l’usage quotidien, c’est sa proximité qui caractérise l’étant utilisable. À y regarder de plus près, cette proximité de l’outil est déjà suggérée dans le terme qui en exprime l’être, à savoir l’« utilisabilité ». L’étant « à portée de main » est à chaque fois plus ou moins proche bien que cette proximité ne soit pas repérée en mesurant des distances. La proximité règle la manipulation et l’utilisation, lesquelles « calculent » dans le mode de la vue-native. La vue-native inhérente à la préoccupation détermine ce qui est proche de cette façon, et détermine parallèlement la direction dans laquelle l’outil est accessible. La proximité, ainsi définie, de l’outil signifie que ce dernier n’occupe pas une position dans l’espace tridimensionnel comme un objet substantiel dans un espace géométrique, mais qu’en tant qu’outil, il est bien plutôt par essence « appliqué contre », « rangé dans », « placé sur », « prêt à l’emploi ». L’outil a sa place, ou bien alors il « se trouve quelque part là autour », ce qui diffère radicalement d’une pure occurrence de localisation dans l’espace au sens de la géométrie. C’est en partant d’un ensemble total de places qui sont définies les unes par rapport aux autres propre au complexe d’outils utilisables qui relève du monde ambiant que la place respective de chaque outil se détermine comme place de cet outil-ci pour faire telle ou telle chose. La place et la diversité des places ne sauraient être explicitées comme étant la « localisation » avec les coordonnées géométriques spécifiques d’une substance que dans une analyse éloignée de la vue-native. La place est à chaque fois le « là-bas » et le « là » où un certain outil est posé. Pour un étant utilisable, le fait d’être à sa place répond à son caractère d’utilisabilité, c’est-à-dire à son appartenance à un ensemble d’outils conformément à la tournure d’ensemble qui le détermine. Mais le fait que soient à leurs places respectives les outils dans la tournure générale d’un lieu a, au fond, pour condition de possibilité la « destination » assignée au complexe d’outils considéré. La destination en laquelle ce qui a valeur d’outil est possiblement à sa place et le lieu de cette destination qui, dans l’usage préoccupé, est tenu d’avance sous le regard, et ce avec une vue-native, nous le nommons les alentours. (22.al. 2)

« Dans les alentours de », cela ne veut pas dire uniquement « en direction de » mais en même temps « dans le rayon de » quelque chose qui se trouve dans la direction indiquée. La place, telle que la constituent la direction et l’être-éloigné – la proximité est un mode de l’être-éloigné –, est déjà orientée par des alentours et à l’intérieur de ceux-ci. Des alentours doivent avoir été dévoilés pour qu’il soit devenu possible de trouver les places qu’occupent les outils que met à disposition la vue-native. Cette disposition des alentours de la diversité des places au sein de l’étant utilisable constitue l’ambiance, autrement dit la tonalité de l’autour-de-nous de l’étant présent relève du monde ambiant. Jamais, quand bien même la physique pourrait en donner cette représentation, ce qui est donné dans la préoccupation ne correspond à des positions géométriques dans l’espace tri-dimensionnel qui seraient occupées par des objets substantiels ayant eux aussi leurs coordonnées spatiales. Dans la spatialité propre à l’étant utilisable, en effet, cette dimension « géométrique » de l’espace est masquée. L’« en haut » est ce qui est « au plafond », l’« au-dessous » est ce qui est « au sol », le « derrière » est ce qui est « près de la porte » ; toutes les localisations sont dévoilées au moyen des allées et venues de l’usage quotidien, et explicitées au sein d’une vue-native ; les places des choses ne sont ni constatées ni relevées à l’occasion d’un mesurage quantifié qui examinerait l’espace. (22.al. 3)

Ce n’est pas par des choses substantielles mises ensemble que des alentours sont en premier formés, ils sont au contraire utilisables dans les places individuelles. Quant aux places elles-mêmes, le Dasein, dans le cadre de la vue-native propre à sa préoccupation, les assigne à l’étant utilisable, ou bien il tombe sur elles. C’est pourquoi l’étant qui est en permanence utilisable, l’étant que l’être-au-monde de la vue-native prend avant tout en compte, a lui-même sa place. La localisation de l’utilisabilité de cet étant est pour la préoccupation prise en compte et orientée en fonction du reste de l’étant utilisable. C’est ainsi que le soleil, dont la lumière et la chaleur sont utilisées chaque jour, a, en fonction de la gamme variable d’emplois possibles de ce qu’il dispense, ses places privilégiées, lesquelles sont dévoilées dans la vue-native : lever, midi, coucher, minuit. Les places de cet étant utilisable, dont l’utilisabilité est variable et pourtant constante dans sa régularité, deviennent des « indications » mettant l’accent sur les alentours qui leur sont inhérents. Ces alentours, à savoir les points cardinaux, lesquels n’ont pas nécessairement un sens géographique, déterminent par avance la configuration susceptibles de constituer des places. La maison a sa façade exposée au soleil et sa façade exposée aux intempéries ; c’est à partir d’elles que s’oriente la répartition des « pièces » et à son tour, à l’intérieur de celles-ci, l’« agencement » de chaque pièce en fonction du caractère d’utilisabilité qui lui est propre. Les églises et les tombeaux, par exemple, sont disposés d’après le lever et le coucher du soleil, alentours de la vie et alentours de la mort à partir desquels le Dasein lui-même est déterminé quant aux possibilités d’être dans le monde qui sont les siennes. La préoccupation du Dasein, étant pour lequel, rappelons-le, il y va en son être de cet être lui-même, dévoile par avance les alentours que le Dasein, à chaque fois, prend pour finalité. La tournure d’ensemble dans laquelle l’étant utilisable, en tant qu’il est présent, est délivré, contribue à déterminer le dévoilement des alentours. (22.al. 4)

L’utilisabilité des alentours a, et cela en un sens plus originel encore que l’être de l’étant utilisable, le caractère de la familiarité qui passe inaperçue. L’utilisabilité ne devient elle-même intrigante que lorsque l’étant utilisable dévoilé par la vue-native s’avère ne pas répondre à ce qu’on attendait d’elle. C’est lorsque quelque chose n’est pas trouvé à la place qui est la sienne que les alentours de la place en question sont, et ce souvent pour la première fois, expressément examinés. L’espace, qui dans la vue native de l’être-au-monde est dévoilé comme étant la spatialité de l’ensemble des outils en tant que place dudit ensemble fait à chaque fois partie de l’étant lui-même. L’espace de la géométrie est masqué. L’espace vécu est morcelé en places. Toutefois, étant donné que l’étant utilisable spatial est conforme à ce qu’est le monde par sa tournure d’ensemble, cette spatialité a sa propre unité. Le « monde ambiant » ne s’agence pas au sein d’un espace géométrique donné par avance, son phénomène spécifique articule au contraire dans sa significativité la cohérence de la tournure d’une totalité de places que dévoile la vue-native. Le monde dévoile à chaque fois la spatialité de l’espace qui en relève. Que, dans l’espace relevant de son monde ambiant, le Dasein ménage la rencontre de l’étant utilisable, cela reste ontiquement possible pour la raison que, s’agissant de son être-au-monde, le Dasein est lui-même « spatial ». (22.al. 5)

§ 23 La spatialité de l’être-au-monde (13 al.)

Si nous attribuons au Dasein une certaine spatialité, alors cet « être dans l’espace » doit manifestement être conçu depuis le mode d’être de cet étant. Le Dasein, par essence, n’est pas une substantialité, la spatialité qui est la sienne ne peut pas signifier quelque chose de tel que le fait qu’il paraisse à une certaine position dans l’« espace géométrique du monde », pas plus qu’elle ne peut signifier le fait qu’il soit utilisable en un certain lieu. Ces deux modes d’être, occuper une position et être utilisable en un lieu, sont en effet ceux de l’étant intramondain présent. Mais le Dasein, quant à lui, est « au » monde, et cela au sens où c’est en toute familiarité qu’il fait usage de l’étant intramondain présent dont il se préoccupe. S’il s’ensuit qu’une spatialité lui revient d’une certaine manière, ce n’est possible que sur la base de cet être-situé. La spatialité du Dasein manifeste les caractères du rapprochement et de l’orientation. (23.al. 1)

Par rapprochement, en tant qu’il s’agit d’un mode d’être du Dasein envisagé dans son être-au-monde, nous n’entendons pas la proximité ou la distance d’une chose par rapport au Dasein. L’expression rapprochement, nous l’employons avec la signification d’une possibilité. Le rapprochement désigne une constitution d’être du Dasein quant à laquelle l’acte de rapprocher quelque chose en le déplaçant n’est qu’une possibilité déterminée et factuelle. Rapprocher signifie faire disparaître le caractère lointain de quelque chose, c’est-à-dire faire disparaître son être-éloigné, rapprocher veut donc dire approcher de soi. Par essence, le Dasein est rapprochant ; en tant que l’étant qu’il est, il ménage à chaque fois la rencontre de l’étant qui est dans sa proximité. Le rapprochement dévoile ainsi l’être-éloigné de l’étant. Tout comme la distance, cet être-éloigné est une détermination catégoriale de l’étant qui n’est pas à la mesure du Dasein. En revanche, le rapprochement est un existential. C’est seulement dans la mesure où, pour le Dasein, d’ordinaire, l’étant est dévoilé dans son être-éloigné que des rapprochements et des éloignements sont possibles dans sa relation à d’autres étants. Deux points sont tout aussi peu éloignés l’un de l’autre que ne le sont d’ordinaire deux choses, et cela parce que, du fait de leur mode d’être, aucun de ces étants n’est capable de rapprocher. Ils sont uniquement distants l’un de l’autre, distance que le Dasein constate et, éventuellement, mesure en les rapprochant. (23.al. 2)

Rapprocher c’est, de prime abord et le plus souvent, amener à proximité avec une vue-native en tant que pourvoir-à, en tant que tenir-prêt, et en tant qu’avoir à portée de main. Toutefois, certains modes déterminés de dévoilement de l’étant par la connaissance pure ont le caractère du rapprochement. Le Dasein renferme en lui une propension essentielle à la proximité. Toutes les façons d’accroître la vitesse, auxquelles nous sommes aujourd’hui plus ou moins contraints de prendre part, poussent à surmonter l’être-éloigné. Avec la « radiodiffusion », par exemple, le Dasein opère de nos jours un rapprochement du « monde », et cela au moyen d’une expansion destructrice du monde ambiant quotidien, rapprochement dont le sens qu’il a pour le Dasein n’est pas saisi. (23.al. 3)

Rapprocher n’implique pas nécessairement une évaluation expresse du caractère lointain, relativement au Dasein, d’un étant utilisable. L’être-éloigné n’est jamais saisi en tant que distance. S’il convient d’évaluer le caractère proche ou lointain de quelque chose, cela se fera dans les modalités dans lesquelles le Dasein quotidien se tient. Considérées quant à leur calcul ces évaluations sont susceptibles d’être imprécises et fluctuantes ; elles n’en ont pas moins, dans la quotidienneté du Dasein, leur propre précision, laquelle est couramment intelligible. Nous disons : jusque là-bas, c’est une promenade, c’est un « saut de puce », c’est le « temps d’une cigarette ». Ce qu’expriment ces mesures, c’est non seulement le fait qu’elles n’ont pas l’intention de « mesurer », mais c’est encore que l’être-éloigné, ainsi évalué, appartient à un étant vers lequel on se rend en s’en préoccupant dans le mode de la vue-native. Mais même lorsque nous nous servons d’une mesure plus solide et disons : « d’ici jusque chez nous, il y a une demi-heure », cette mesure doit être prise comme étant une évaluation réalisée dans ce même mode. Une « demi-heure », ce n’est pas trente minutes, mais c’est une durée qui n’a aucune « longueur », au sens d’une dimension quantitative. À chaque fois, cette durée s’explicite à partir des « préoccupations » quotidiennes habituelles. De prime abord, et même là où sont connues des mesures calculées « de façon officielle », les être-éloignés sont évalués au moyen de la vue-native. Et c’est parce qu’à l’occasion de telles évaluations l’étant qui est rapproché est un étant utilisable qu’il conserve son caractère spécifiquement intramondain. C’est à cela même que tient le fait que les voies d’usage menant à l’étant éloigné sont chaque jour de longueur différente. L’étant utilisable relevant du monde ambiant ne serait pas substantiel pour un observateur continuel destitué de son être-là, c’est au contraire dans le cadre de la quotidienneté propre au Dasein qui se préoccupe au sein de sa vue-native qu’il est présent. Sur les chemins qu’il emprunte, le Dasein, en tant que chose corporelle substantielle, ne parcourt pas une portion d’espace, il ne « parcourt pas les kilomètres » ; rapprocher et éloigner, c’est chez le Dasein à chaque fois être en rapport à ce qu’il rapproche et éloigne et dont il se préoccupe. Un chemin « objectivement » plus long peut être plus court qu’un chemin « objectivement » plus court, lequel est éventuellement un « vrai calvaire » qui paraîtrait à quelqu’un d’autre interminable. Mais c’est en une telle « occurrence » que le monde est d’abord véritablement utilisable. Les distances objectives auxquelles se trouvent les choses substantielles ne coïncident pas avec l’être-éloigné et la proximité qui sont propres à l’étant intramondain utilisable. Celles-là peuvent bien être connues avec exactitude, ce savoir reste cependant aveugle, il n’a pas pour fonction, en dévoilant avec une vue-native, de rapprocher le monde ambiant ; un tel savoir seul l’emploie, et l’emploie pour lui, un être qui ne se préoccupe pas de mesurer les portions d’espace en rapport au monde. (23.al. 4)

Dès lors que l’on s’oriente par avance sur la « nature » et les distances, « objectivement » mesurées, on est enclin à présenter comme étant « subjectives » une telle explicitation de l’éloignement et une telle façon d’évaluer celui-ci. C’est là pourtant une « subjectivité » qui dévoile ce qu’a de plus réel la « réalité » du monde et qui n’a rien à voir avec un « subjectif » au sens de « conceptions en partie arbitraires ». Le rapprochement de la vue-native que le Dasein exerce au quotidien dévoile l’être-en-soi du « monde vrai » autrement dit dévoile l’être-en-soi de l’étant auprès duquel le Dasein, en tant qu’il existe, séjourne toujours. (23.al. 5)

L’orientation première, voire exclusive, sur des être-éloignés que l’on assimile à des distances mesurées, dissimule la spatialité originelle de l’être-situé. Ce qui est « tout proche » n’est pas ce qui est à la plus petite distance « de nous ». Ce qui est « tout proche » se trouve dans ce que le Dasein a rapproché et qui, de ce fait, est à portée d’une atteinte, d’une saisie, d’un regard de sa part. C’est parce que le Dasein est par essence spatial, et cela suivant le mode du rapprochement, que l’usage se déploie toujours dans un « monde ambiant », que le Dasein, à chaque fois, a rapproché pour le faire entrer à l’intérieur d’une certaine marge de manœuvre ; c’est pourquoi, d’emblée, nous fermons toujours les oreilles et les yeux sur ce qui est « tout proche » en termes de distance. La vue et l’ouïe sont des sens portant au loin, non pas en raison de leur portée, mais parce que le Dasein, en tant qu’il rapproche, s’attarde sur eux de manière prépondérante. Pour celui qui, par exemple, porte des lunettes, lesquelles, en termes de distance, sont si proches de lui qu’elles sont « sur son nez », cet outil, dont il se sert comme il le fait pour ce qui relève de son monde ambiant, est plus éloigné que le tableau qui se trouve accroché au mur d’en face. Cet outil est si peu à proximité que, souvent, il ne sera pas même vu. L’outil pour voir, de même que l’outil pour ouïr, l’écouteur du téléphone par exemple, se caractérise par ceci qu’il passe inaperçu, ce qui est propre à l’étant utilisable. Ceci vaut, par exemple, également pour la rue qui est un outil pour se déplacer et aller et venir. En marchant, nous la touchons à chaque pas, et elle est apparemment ce qu’il y a de plus proche et de plus réel dans l’étant utilisable ; tout au long du chemin elle entre au contact de parties précises du corps, à savoir de nos pieds. Et pourtant, elle est bien plus éloignée que la personne de connaissance que, durant une telle marche, nous rencontrons « dans la rue » et qui est « éloignée » de vingt pas. Quant à savoir si est proche ou lointain ce qui est immédiatement utilisable comme l’est ce qui relève du monde ambiant, c’est la préoccupation de la vue-native qui en décide. Ce auprès de quoi, et d’entrée de jeu, s’attarde la préoccupation, c’est cela qui est le « tout proche » du Dasein et qui règle ses rapprochements. (23.al. 6)

Si, alors qu’il se préoccupe, le Dasein amène quelque chose à proximité de lui, cela ne signifie pas qu’il ait fixé quelque chose à un emplacement de l’espace qui serait à la plus petite distance de n’importe quel point de son corps. À proximité veut dire : dans le rayon de ce qui est immédiatement utilisable dans la vue-native. Le rapprochement n’est pas orienté sur la chose affectée d’un corps que serait le je, mais sur l’être-au-monde préoccupé c’est-à-dire sur ce qui, dans cet être, fait à chaque fois immédiatement encontre. C’est pourquoi ce n’est pas non plus en indiquant son emplacement, comme on le ferait d’une chose corporelle substantielle, que l’on détermine la spatialité du Dasein. Sans doute disons-nous également du Dasein qu’il occupe à chaque fois une place. Mais ce « fait d’occuper » une place, il faut le séparer radicalement de l’être-utilisable à une certaine place dans les alentours. Le fait d’occuper, il faut le concevoir comme étant le fait de rapprocher l’étant utilisable comme l’est ce qui relève du monde ambiant, et ce pour l’amener dans les alentours où s’exerce la vue-native. C’est en partant du là-bas qui relève de son monde ambiant que le Dasein comprend son ici. L’ici ne désigne pas la localisation d’un étant substantiel, mais le voisinage d’un être qui rapproche en ne faisant qu’un avec ce rapprochement. Conformément à la spatialité qui lui est propre, le Dasein n’est jamais de prime abord ici, mais il est là-bas, un là-bas depuis lequel il revient sans cesse vers son ici, et cela uniquement de telle manière que, depuis ce qui est utilisable là-bas il explicite son être en rapport à ce qui le préoccupe. Cela ressort de façon tout à fait claire d’une particularité phénoménale propre à la structure de rapprochement qu’a l’être-situé. (23.al. 7)

En tant qu’être-au-monde, le Dasein, par essence, se comporte de façon à rapprocher. Ce rapprochement de ce qu’a de lointain l’étant utilisable, le Dasein ne peut jamais en faire abstraction. Bien sûr, l’être-éloigné par rapport au Dasein d’un étant utilisable est lui-même susceptible de se présenter comme étant une distance, dès lors que cet être-éloigné est déterminé en rapport à une chose qui elle-même, en tant qu’étant substantiel, est pensée à la place que le Dasein pourrait occuper. Cet intervalle qu’est la distance, le Dasein peut le parcourir après coup, à la seule condition toutefois que la distance elle-même soit le résultat d’un rapprochement. Sa propension à rapprocher, le Dasein l’a si peu abolie qu’il l’a bien plutôt emportée avec lui, et l’emporte en permanence, et cela parce que le Dasein est, par essence, rapprochement, c’est-à-dire spatial. Le Dasein ne peut pas déambuler à l’intérieur du périmètre des rapprochements du moment, il ne peut jamais que les changer. Le Dasein est spatial dans la modalité suivant laquelle il dévoile l’espace avec une vue-native, et cela de façon telle que, en rapprochant en permanence, il se rapporte à l’étant qui fait de la sorte spatialement encontre. (23.al. 8)

En tant qu’être-situé qui rapproche, le Dasein a également pour caractère de cadrer. Tout rapprochement a par avance déjà pris une direction dans les alentours depuis lesquels ce que le Dasein rapproche se rapproche, et cela de façon à venir à la place qui est la sienne. La vue-native de la préoccupation c’est ce comportement du Dasein suivant lequel, tout en orientant, il rapproche. Dans cette préoccupation, c’est-à-dire dans l’être-au-monde du Dasein lui-même, le besoin de « signe » est mis en avant ; cet outil qu’est le signe se charge en effet d’indiquer des directions, et ce de façon explicite et facile à manier. Le signe tient expressément ouverts les alentours dont le Dasein fait usage avec sa vue-native, autrement dit il tient ouverte la direction dans laquelle une certaine chose y est à sa place et l’indication de la direction dans laquelle il convient de porter ou d’aller la chercher. En tant que, tout en orientant, il rapproche, le Dasein, dès lors qu’il est, a ses alentours dévoilés. En tant que modes d’être de l’être-au-monde, l’orientation, tout comme le rapprochement, sont par avance guidés par la vue-native propre à la préoccupation. (23.al. 9)

De l’orientation proviennent les directions fixes vers la droite et vers la gauche. Tout comme il le fait de ses rapprochements, le Dasein emporte également en permanence ces directions avec lui. Sous sa forme « incarnée », laquelle renferme en elle une problématique particulière que nous n’avons pas à traiter ici, la spatialisation du Dasein est conjointement privilégiée suivant ces directions. C’est pourquoi un étant utilisable et qui est à l’usage du corps, par exemple les gants qui accompagnent les mains dans leurs mouvements, tiendra compte de cette spatialité, de sorte qu’il y aura un gant pour main droite et un autre, différent, pour la gauche. En revanche, un outil manuel, qui est pourtant destiné à être tenu par la main et à être mû par celle-ci, peut ne prendre pas part au mouvement « pratique » spécifique de la main. Et ainsi, bien qu’on les manie à la main, il n’est pas nécessaire qu’existent des marteaux pour la main droite et des marteaux pour la main gauche. (23.al. 10)

Reste cependant à observer que l’orientation qui fait partie du rapprochement est établie grâce à l’être-au-monde. Gauche et droite ne sont pas quelque chose de « subjectif », quelque chose quant à quoi le sujet aurait un sentiment, mais ce sont des directions inhérentes à l’être-cadré en direction d’un monde utilisable. Jamais je ne pourrais trouver mon chemin dans un monde « grâce au simple sentiment d’une différence entre mes deux côtés » |Immanuel Kant, Que signifie : s’orienter dans la pensée ? 1786, dans Werke, édition de l’Académie des Sciences de Prusse, tome VIII, p. 131-147|. Le sujet doué du « simple sentiment » de cette différence n’est qu’une amorce de construction, laquelle néglige la vraie constitution du sujet, à savoir que le Dasein, avec ce « simple sentiment », manifeste le fait qu’il est dans un monde, et qu’il ne peut pas en être autrement à défaut de quoi il ne saurait même être question de s’orienter. Cela ressort d’ailleurs nettement de l’exemple dont se sert Kant pour tenter de clarifier le phénomène de l’orientation. (23.al. 11)

Supposons que je pénètre dans une chambre que je connais bien mais qui est plongée dans l’obscurité et dont l’agencement a été bouleversé pendant mon absence au point que tout ce qui était à droite se trouve à présent à gauche. Dès lors que je dois m’orienter, le « simple sentiment de la différence » entre mes deux côtés ne m’est d’aucune aide, aussi longtemps que je n’ai pas saisi un objet déterminé, objet dont Kant dit en passant « que j’ai son emplacement en mémoire ». Mais qu’est-ce que cela signifie, sinon ceci : je m’oriente nécessairement dans un être auprès d’un monde qui m’est « bien connu » et depuis un tel être. Il faut que le complexe d’outils propre à un certain monde soit déjà donné par avance au Dasein. Que je sois dans un certain monde, cela n’est, pour la possibilité de l’orientation, pas moins constitutif que ne l’est le sentiment de la droite et de la gauche. Que cette constitution d’être du Dasein « aille de soi », cela ne légitime pas que l’on en nie le rôle ontologique constitutif. Du reste, Kant ne le nie pas non plus, pas plus qu’il ne nie d’autres interprétations du Dasein. Cependant, ce n’est pas parce qu’on fait en permanence usage de cette constitution qu’on peut se trouver dispensé d’en fournir une explicitation ontologique convenable ; cela l’exige au contraire. L’interprétation psychologique suivant laquelle le je a quelque chose « en mémoire » a en réalité en vue la constitution existentiale de l’être-au-monde. Comme Kant ne voit pas cette structure, il méconnaît également la cohérence de la constitution d’une orientation possible. L’être-cadré vers la droite et vers la gauche est fondé dans l’orientation déterminante qui est inhérente au Dasein en général, orientation à la détermination de laquelle l’être-au-monde, par essence, contribue de son côté. À vrai dire, Kant ne tient pas non plus à interpréter thématiquement l’orientation. Il veut uniquement montrer que toute orientation réclame un « principe subjectif ». En l’occurrence toutefois, « subjectif » entend signifier pour lui à priori. Cependant, l’à priori de l’être-orienté vers la droite et vers la gauche est fondé dans l’à priori « subjectif » qu’est l’être-au-monde et n’a rien à voir avec une détermination d’être qui serait appliquée à un sujet qui serait d’abord sans monde. (23.al. 12)

En tant que caractères constitutifs de l’être-situé, le rapprochement et l’orientation déterminent la spatialité du Dasein, et cela de telle sorte que le Dasein, alors qu’il se préoccupe avec sa vue-native ait à être dans l’espace intramondain qui a été dévoilé. Ce que nous livre en premier lieu l’explicitation donnée jusqu’à présent de la spatialité de l’étant intramondain utilisable et de la spatialité de l’être-au-monde, ce sont les présupposés qui permettent d’élaborer le phénomène de la spatialité du monde et de poser le problème ontologique de l’espace. (23.al. 13)

§ 24 La spatialité du Dasein et l’espace (9 al.)

En tant qu’être-au-monde, le Dasein, à chaque fois, a déjà dévoilé un « monde ». Ce dévoilement, tel qu’il est fondé dans le phénomène du monde, nous l’avons caractérisé comme étant le fait de délivrer de l’étant intégré à une tournure d’ensemble. L’acte par lequel le Dasein laisse l’étant s’en tenir à sa finalité, et ce faisant le délivre, se déroule de la façon suivante : le fait qu’un étant renvoie à quelque autre étant constaté par le Dasein de façon directe avec sa vue-native est fondé dans une compréhension préalable de la significativité du monde. On a montré que l’être-au-monde de la vue-native est spatial. Et c’est seulement parce que le rapprochement et l’orientation sont les modalités par lesquelles le Dasein est spatial, que l’étant utilisable du monde ambiant peut se présenter dans la spatialité qui est la sienne. Délivrer une tournure d’ensemble c’est, en rapprochant et en orientant, laisser se finaliser les alentours, c’est-à-dire délivrer l’espace dans lequel l’étant utilisable révèle les places qu’il occupe. Inhérente à la significativité avec laquelle le Dasein, en tant qu’être-situé préoccupé, est familier, repose donc l’être déterminant, simultanément ouvert, de l’espace. (24.al. 1)

L’espace ainsi ouvert de pair avec le phénomène du monde n’a encore rien de la multiplicité pure que sont les trois dimensions de la géométrie. En dépit de cet être-ouvert immédiat, l’espace en tant que contenant de toute ordonnance métrique d’emplacements ou en tant que fixation métrique de situations, reste encore caché. Nous avons déjà précisé en quoi consiste l’espace sur lequel s’oriente le Dasein ainsi que le phénomène des alentours. Nous comprenons les alentours comme étant la direction à laquelle il est possible qu’appartienne le complexe d’outils utilisable, complexe qui, en tant qu’il a été rapproché et orienté, c’est-à-dire en tant qu’il a été placé, a vocation à pouvoir se présenter. L’attribution d’une place à un outil est déterminée à partir de la significativité constitutive du monde et, à l’intérieur du lieu de destination possible, cette attribution fait office d’articulation entre le par ici et le par là-bas. Le lieu de destination en général se voit préfiguré par le réseau de renvois que, à la lumière d’un à-dessein-de-quoi, la préoccupation fixe, réseau à l’intérieur duquel se constitue l’acte de laisser quelque chose montrer sa finalité possible, lequel acte délivre l’utilisable. Que ce qui est présent en tant qu’étant utilisable montre à chaque fois sa finalité dans certains alentours, cela lui est donc inhérent. À la tournure d’ensemble que constitue l’être de l’étant utilisable du monde ambiant, appartient une tournure spatiale propre aux alentours. C’est sur la base de cette tournure d’ensemble que l’étant utilisable va se présenter et être déterminable par la préoccupation suivant sa forme et la direction dans laquelle il se trouve. À chaque fois, c’est dans la transparence que procure la vue-native que la préoccupation rapproche et oriente l’étant intramondain utilisable en phase avec l’être en situation du Dasein. (24.al. 2)

Ménager de manière constitutive la rencontre avec l’étant intramondain, c’est, pour l’être-au-monde, « donner de l’espace » à l’étant. Cette « donation d’espace », que nous nommons également spatialisation, c’est l’acte de délivrer l’étant utilisable dans la spatialité qui est celle du Dasein. En tant que, en le dévoilant, il donne par avance un ensemble possible de places ayant été déterminées en fonction de la tournure d’ensemble d’un lieu, cette spatialisation rend possible l’orientation factuelle correspondante. En tant qu’il se préoccupe du monde avec une vue-native, si le Dasein peut, pour cette raison, en changer l’agencement, évacuer certaines choses ou « aménager » l’espace, c’est uniquement parce que l’acte de spatialiser, compris en tant qu’existential, relève de son être-au-monde. Mais ni les alentours qui à chaque fois sont dévoilés par avance, ni la spatialité qui leur correspond, ne se tiennent expressément sous le regard. Pour la vue-native la spatialité est présente comme l’est l’absence de côté intriguant d’un étant utilisable qui fait corps avec ce dont la vue-native se préoccupe. Avec l’être-au-monde, c’est dans cette spatialité que l’espace est de prime abord dévoilé. C’est en prenant appui sur la spatialité dévoilée de la sorte que l’espace lui-même devient accessible à la connaissance. (24.al. 3)

L’espace n’est pas dans le sujet, mais le monde n’est pas non plus dans l’espace. C’est bien plutôt l’espace qui est « dans » le monde, et ce dans la mesure où c’est l’être-au-monde constitutif du Dasein qui a ouvert l’espace. L’espace n’est pas construit par le sujet et ce dernier ne considère pas davantage le monde « comme si » il était dans un espace, mais c’est le « sujet » ontologiquement bien compris, à savoir le Dasein, qui est spatial et cela en un sens originel. Et c’est parce que le Dasein est spatial, suivant la description que nous en avons faite, que l’espace peut se manifester comme étant un à priori. Ce terme d’à priori ne veut pas dire appartenance préalable de l’espace à un sujet de prime abord sans monde, sujet qui propulserait ainsi un espace hors de soi. En l’occurrence, à priori veut dire : la rencontre de l’espace se fait toujours sous l’espèce d’un étant utilisable situé dans les alentours relevant d’un monde ambiant. (24.al. 4)

La spatialité de l’étant qui est présent dans la vue-native peut devenir thématique pour la vue-native elle-même et conduire à des calculs et des mesures, par exemple lors de la construction d’une maison ou en cas d’arpentage. Avec cette thématisation de la spatialité du monde ambiant qui relève principalement encore de la vue-native, l’espace en lui-même vient déjà, d’une certaine manière, sous le regard. Dès lors que l’espace se manifeste ainsi, l’observation pure peut se pencher sur lui, et cela en abandonnant la seule possibilité d’accès à l’espace qu’elle avait auparavant, à savoir la vue-native. L’« intuition formelle » de l’espace dévoile alors les possibilités pures de rapports spatiaux. Sur ce point, il existe toute une gradation dans le dégagement de l’espace pur, homogène, allant de la morphologie pure des figures spatiales conduisant à l’analysis situs jusqu’à la science purement métrique de l’espace. L’examen de ces différents ensembles ne relève pas de notre investigation |Sur ce sujet Oskar Becker, Beiträge zur phänomenologischen Begründung der Geometrie und ihrer physikalischen Anwendungen in Jahrbuch für Philosophie und phänomenologische Forschun IV 1923, 493–560|. Dans le cadre de la problématique qui est la nôtre, il convenait uniquement de fixer ontologiquement le sol phénoménal sur lequel le dévoilement et l’élaboration thématiques de l’espace pur prennent leur élan. (24.al. 5)

Dès lors qu’il s’est libéré de la vue-native et n’est plus qu’observation le dévoilement de l’espace neutralise les alentours qui relèvent du monde ambiant et les reconduit à des dimensions pures. Les places qu’occupe l’outil utilisable et l’ensemble des places qui avaient été orientées par la vue-native s’effondrent en une multiplicité de positions pour des choses quelconques. La spatialité de l’étant intramondain utilisable perd en même temps que celui-ci son caractère de tournure. Le monde est déchu de son caractère spécifiquement entourant, le monde ambiant devient monde naturel. En tant qu’ensemble des outils utilisables le « monde » en vient à être spatialisé en un ensemble de choses étendues, lesquelles dès lors ne sont plus que substantielles. L’espace naturel homogène se manifeste uniquement par la voie d’un certain mode de dévoilement de l’étant, lequel mode se caractérise par une dé-mondanéisation spécifique de ce que l’étant utilisable a de conforme au monde. (24.al. 6)

Conformément à l’être-au-monde qu’est le Dasein, l’espace dévoilé est par avance donné au Dasein, bien que de façon non thématique. En revanche, s’agissant des possibilités pures qui lui sont inhérentes, autrement dit s’agissant du pur être-spatial de quelque chose, l’espace en lui-même reste de prime abord encore dissimulé. Que par essence l’espace se manifeste dans un monde, cela ne résout pas encore la question de son mode d’être. Il n’a pas besoin d’avoir le mode d’être d’un étant utilisable, ou celui d’un étant substantiel qui sont eux-mêmes spatiaux. L’être de l’espace n’a pas non plus le mode d’être du Dasein. De ce que l’être de l’espace ne peut lui-même être conçu suivant le mode d’être de la res extensa, il ne s’ensuit ni qu’il faille le déterminer ontologiquement en tant que « phénomène » de cette res – auquel cas il ne différerait pas d’elle en son être –, ni que l’être de l’espace puisse être placé au même niveau que celui de la res cogitans et conçu comme étant simplement « subjectif », même abstraction faite du caractère problématique de l’être de ce sujet. (24.al. 7)

L’embarras qui a prévalu jusqu’à ce jour en ce qui concerne l’interprétation de l’être de l’espace n’est pas tant fondé dans une connaissance insuffisante de la teneur de réalité de l’espace lui-même que dans le défaut de transparence principielle des possibilités d’être en lui-même et d’une interprétation ontologique de celles-ci conceptuellement satisfaisante. Le facteur décisif permettant de comprendre le problème ontologique de l’espace réside en ceci : la question de l’être de l’espace doit être libérée de l’étroitesse des concepts d’être qui sont à disposition et qui, de surcroît, sont la plupart du temps élaborés de façon seulement rudimentaire ; dans l’optique tant du phénomène lui-même que des diverses spatialités phénoménales, il faut amener la problématique de l’être de l’espace à se diriger vers un éclaircissement des possibilités de l’être en lui-même. (24.al. 8)

Dans le phénomène de l’espace on ne pourra trouver ni la détermination d’être ontologique unique de l’être de l’étant intramondain ni même une détermination d’être qui primerait sur les autres. Le phénomène de l’espace constitue encore moins le phénomène du monde. Ce n’est, en effet, qu’en ayant recours au monde que l’espace peut être conçu. Non seulement l’espace ne devient accessible qu’à travers la spatialisation du monde ambiant, mais encore il n’est possible de dévoiler la spatialité que sur la base du monde, et ce de telle manière qu’elle se constitue conformément à la spatialisation inhérente à la constitution fondamentale d’être-au-monde du Dasein. (24.al. 9)