Chapitre III : Le pouvoir-être-total propre du Dasein et la temporalité en tant que sens ontologique du souci


§ 61 Ébauche du pas méthodologique conduisant de la délimitation de l’être-total authentique et conforme à ce qu’est le Dasein au dégagement phénoménal de la temporalité (9 al.)

C’est existentiellement qu’un pouvoir-être-total authentique du Dasein a d’abord été élaboré. Le déploiement du phénomène du pouvoir-être-total a révélé l’être-destinalisé-par-la-mort authentique comme étant le devancement |§ 53|. Dans son attestation existentielle, le pouvoir-être authentique du Dasein a été mis en évidence comme étant l’être-résolu ; il a également été interprété existentialement. Comment convient-il de rassembler les phénomènes du devancement et de l’être-résolu ? La transposition ontologique du pouvoir-être-total authentique n’a-t-elle pas conduit à une dimension du Dasein éloignée du phénomène qu’est l’être-résolu ? Qu’est-ce que la mort a de commun avec la « situation concrète » qui a été nommée situation-d’action ? Inciter à unir de force le devancement et l’être-résolu, n’est-ce pas s’égarer dans une construction fortuite totalement opposée à la phénoménologie et qui ne peut plus prétendre caractériser un passage de l’ontique à l’ontologique phénoménalement fondé ? (61.al. 1)

Un rattachement extrinsèque des deux phénomènes s’interdit de lui-même. Le seul chemin méthodologique qui reste ouvert est celui qui, partant du phénomène qu’est l’être-résolu tel qu’il est attesté dans sa possibilité existentielle, pose la question suivante : dans la tendance d’être existentielle qui est la plus authentiquement sienne, l’être-résolu renvoie-t-il lui-même au devancement comme à sa possibilité la plus authentiquement sienne ? Qu’en serait-il si l’être-résolu, suivant le sens qui est le sien, ne s’était porté dans son authenticité qu’après s’être projeté, non pas vers des possibilités primesautières quelconques, mais vers celle qui constitue le fond ultime de sa possibilité et campe en deçà de tout pouvoir-être en situation du Dasein et qui, en tant que telle, investit de toutes parts le pouvoir-être du Dasein dont celui-ci se serait emparé en se projetant ? Qu’en serait-il si c’était avant tout en devançant la mort que l’être-résolu, en tant que vérité proprement dite du Dasein, atteignait la certitude propre qui lui appartient ? Si, autrement dit, c’était en devançant la mort qu’était avant tout proprement compris, c’est-à-dire existentiellement rejoint, tout « état avant-coureur » de fait de la prise de décision ? (61.al. 2)

Adopter cette démarche c’est, pour l’interprétation existentiale, faire connaître parallèlement ce qui caractérise sa méthode. Jusqu’ici, abstraction faite de quelques remarques indispensables, nous avons différé toute discussion expresse d’ordre méthodologique. Ce qui, dans un premier temps, seul importait, c’était de « progresser » vers les phénomènes délimitant l’être-total du Dasein. Désormais, avant que nous ne dégagions le sens d’être de l’étant qui a été révélé dans son socle phénoménal, nous avons besoin d’arrêter le cours de l’investigation, non pour lui procurer un « repos », mais pour lui donner une impulsion plus rigoureuse. (61.al. 4)

Est authentique la méthode fondée dans le regard préalable adéquat qui est porté sur la constitution fondamentale de l’« objet » ou du domaine d’objets qu’il s’agit d’ouvrir. C’est pourquoi toute méditation méthodologique authentique – qu’il faut bien différencier d’exposés techniques vides – fournit en même temps une ouverture sur le mode d’être de l’étant qui a été pris pour thème. Seule la clarification des possibilités, des exigences et des limites qui sont celles de la méthode de l’analytique existentiale en général assure à la démarche par laquelle elle pose ses bases, à savoir celle qui révèle le sens d’être du souci, la transparence qui lui est indispensable. Mais l’interprétation du sens ontologique du souci doit être effectuée sur la base de la pleine et continuelle analyse phénoménologique de la constitution existentiale du Dasein, telle qu’elle a jusqu’ici été menée. (61.al. 5)

Sur le plan ontologique, le Dasein est radicalement différent de tout ce qui est substantiel. Sa « persistance » n’est pas fondée dans la substantialité d’une substance, mais dans le « maintien » du soi-même qui existe dont l’être a été conçu comme étant le souci. Le phénomène du soi-même, que par là-même le souci renferme, réclame une délimitation existentiale, originelle et authentique qui s’oppose au soi-comme-on inauthentique, tel qu’il a été mis en lumière dans l’analyse préparatoire. Ce n’est qu’après avoir clarifié de la sorte le phénomène du souci que nous nous interrogerons ensuite sur son sens ontologique. La détermination de ce sens nous conduira à dégager la temporalité. Cette mise en lumière ne conduit pas dans des régions du Dasein qui seraient à l’écart et séparées, mais elle ne fait qu’inscrire l’intégralité de la réalité phénoménale de la constitution existentiale fondamentale du Dasein dans les fondements ultimes de sa propre intelligibilité ontologique. C’est à même l’être-total authentique du Dasein, autrement dit à même le phénomène de l’être-résolu, que l’expérience de la temporalité sera saisie de façon phénoménalement originelle. Si la temporalité se fait connaître de façon originelle à même l’être-résolu qui devance, alors ce dernier donne accès à la temporalité elle-même. La temporalité peut se temporaliser de diverses manières. Les deux possibilités fondamentales de l’existence inhérentes au Dasein que sont l’authenticité et l’inauthenticité sont ontologiquement fondées dans des temporalisations différentes de la temporalité. (61.al. 7)

Si déjà, étant donné que la compréhension prédominante de l’être se fait sur le mode de la déchéance-dans-le-quotidien (être en tant que substantialité ou en tant qu’utilisabilité), le Dasein est loin de se faire une idée du caractère ontologique de son propre être, il est encore plus éloigné de se faire une idée claire des fondements originels de cet être. C’est pourquoi il ne faut pas s’étonner si, à première vue, la temporalité ne correspond pas à ce qui, en tant que « temps », est accessible à la compréhension courante. Le concept de temps qui est propre à l’expérience courante que l’on fait du temps, ainsi que la problématique qui s’est développée à partir de ladite expérience ne peut, pour cette raison, sans examen approfondi, faire office de critère adéquat d’une interprétation du temps. Plus encore, il faut que notre investigation se familiarise au préalable avec le phénomène originel qu’est la temporalité, et cela avant tout afin d’éclaircir, à partir dudit phénomène, le caractère de nécessité que peut avoir la compréhension courante du temps et son origine ainsi que la raison de sa position dominante. (61.al. 8)

Nous consoliderons le phénomène originel qu’est la temporalité en apportant la justification du fait qu’en ce qui concerne leur complétude, leur unité et leur déploiement possibles, toutes les structures fondamentales du Dasein que nous avons mises jusqu’ici en évidence sont au fond « temporelles » et qu’il faut les concevoir comme des modes de temporalisation de la temporalité. Après que nous ayons dégagé la temporalité va donc naître, pour l’analytique existentiale, la tâche de répéter l’analyse du Dasein effectuée auparavant en réinterprétant les structures essentielles du Dasein qui ont été dégagées plus haut, mais cette fois sous l’angle de leur mode de temporalisation. Les directions fondamentales des analyses que cela réclame, la temporalité elle-même les indique par avance. Par suite, le présent chapitre reçoit la division suivante : le pouvoir-être-total, existentiellement authentique, du Dasein en tant qu’être-résolu qui devance (§ 62) ; la situation herméneutique qui a été conquise en tant qu’elle permet une interprétation du sens d’être du souci et ce qui caractérise la méthode de l’analytique existentiale en général (§ 63) ; souci et ipséité (§ 64) ; la temporalité en tant que sens ontologique du souci (§ 65) ; la temporalité du Dasein et les tâches d’une reprise plus originelle de l’analyse existentiale à la source desquelles elle se trouve (§ 66) (61.al. 9)

§ 62 Le pouvoir-être-total, existentiellement authentique, du Dasein en tant qu’être-résolu qui devance (15 al.)

Dans quelle mesure l’être-résolu, dès lors que, conformément à sa tendance d’être la plus authentiquement sienne, il est « pensé jusqu’au bout », conduit-il à l’être-destinalisé-par-la-mort authentique ? Comment faut-il concevoir la connexion entre le assumer-une-conscience-de-soi et le pouvoir-être-total propre du Dasein transposé existentialement ? Le fait de souder les deux conduit-il à un nouveau phénomène ? Ou bien le pouvoir-être-total demeure-t-il un phénomène lié à l’être-résolu tel qu’il est attesté dans sa possibilité existentielle de telle manière toutefois que grâce à l’être-destinalisé-par-la-mort l’être-résolu puisse faire l’expérience d’une modalisation existentielle particulière ? Mais existentialement, que veut dire « penser jusqu’au bout » le phénomène de l’être-résolu ? (62.al. 1)

L’être-résolu, nous l’avons caractérisé comme l’acte du Dasein qui se projette lui-même vers l’être-en-dette vis-à-vis-de-soi-même en acceptant l’angoisse dans une résolution silencieuse. Cet être-en-dette vis-à-vis-de-soi-même participe de l’être du Dasein et signifie : être le fondement négateur d’une négativité. Le fait d’être « en-dette-vis-à-vis-de-soi-même » n’admet ni augmentation ni diminution. Il est en deçà de toute quantification, si tant est que celle-ci puisse avoir ici un sens. De même, ce n’est pas de temps à autre, pour ensuite, à nouveau, ne l’être plus, que le Dasein est essentiellement en-dette. Le assumer-une-conscience-de-soi prend le parti du être-en-dette vis-à-vis-de-soi-même. C’est le sens authentique de l’être-résolu que de se projeter vers cet être-en-dette vis-à-vis-de-soi-même, en tant que ce dernier est l’être que le Dasein est aussi longtemps qu’il est. Par conséquent, dans l’être-résolu, la prise en charge existentielle de ce « devoir » n’en vient à être proprement effectuée que lorsque l’être-résolu, en ouvrant le Dasein, est parvenu à une lucidité telle qu’il comprend l’être-en-dette vis-à-vis-de-soi-même comme continuel. Mais cette compréhension ne se rend possible que de la façon suivante : le Dasein ouvre son pouvoir-être « jusqu’à son propre achèvement ». Toutefois, existentialement, pour le Dasein, être-achevé veut dire : être-destinalisé-par-la-mort en tant qu’être comprenant, c’est-à-dire que c’est en tant qu’être qui devance la mort que l’être-résolu devient véritablement ce qu’il peut être. L’être-résolu n’« a » pas uniquement une connexion avec le devancement en tant que ce dernier serait un nouveau lui-même. Il renferme en soi l’être-destinalisé-par-la-mort authentique comme étant la modalité existentielle possible de son propre être-authentique. Cette « connexion », il convient de la préciser sur le plan phénoménal. (62.al. 2)

Être-résolu veut dire : se laisser inciter à se référer à l’être-en-dette vis-à-vis-de-soi-même le plus authentiquement sien. Le fait d’être-en-dette participe de l’être du Dasein lui-même, être que nous avons principalement déterminé comme étant un pouvoir-être. Le Dasein « est » continuellement en dette, cela ne peut signifier qu’une chose : il se tient à chaque fois dans cet être, soit en existant de façon authentique, soit en existant de façon inauthentique. L’être-en-dette vis-à-vis-de-soi-même n’est pas une propriété durable d’un étant substantiel, mais c’est la possibilité existentielle d’être de façon authentique ou de façon inauthentique. « En dette » seul peut l’être un pouvoir-être en situation. C’est pourquoi l’être-en-dette vis-à-vis-de-soi-même, dans la mesure où il fait partie de l’être du Dasein, doit être conçu comme un pouvoir-être-en-dette vis-à-vis-de-soi-même. L’être-résolu se projette vers ce pouvoir-être, c’est-à-dire qu’il se comprend en lui. Cette compréhension, par conséquent, se tient dans une possibilité originelle du Dasein. Dès lors que c’est originellement que l’être-résolu est ce qu’il tend à être, c’est authentiquement que la compréhension se tient dans cette possibilité. Mais c’est en tant qu’être-destinalisé-par-la-mort, c’est-à-dire en tant qu’être ayant pour perspective la possibilité ultime du Dasein, que nous avons révélé l’être originel du Dasein dans son rapport à son pouvoir-être. Le devancement ouvre cette possibilité en tant que possibilité. C’est pourquoi ce n’est qu’en tant qu’il devance que l’être-résolu devient, pour le Dasein, un être originel ayant pour perspective le pouvoir-être le plus authentiquement sien. Le « pouvoir » qui est inhérent au pouvoir-être-en-dette vis-à-vis-de-soi-même, l’être-résolu ne le comprend que s’il se « qualifie » lui-même comme être-destinalisé-par-la-mort. (62.al. 3)

Dès lors qu’il est résolu, le Dasein, dans son existence, assume proprement le fait qu’il soit l’origine de la négation de sa négativité. Dans l’ordre existential, nous avons conçu la mort comme étant la possibilité, telle que nous l’avons caractérisée, de la non possibilité d’exister, c’est-à-dire comme étant la négativité absolue du Dasein. La mort n’est pas quelque chose qui se rajoute au Dasein lors de sa « fin », c’est au contraire le Dasein qui, en tant que souci, est origine ayant été jetée-là (donc origine négative) de sa mort. La négativité, qui originellement ne cesse de régir l’être du Dasein, se révèle à elle-même dans l’être-destinalisé-par-la-mort authentique. C’est seulement depuis l’origine qu’est l’être total du Dasein que le devancement rend l’être-en-dette vis-à-vis-de-soi-même manifeste. Le souci renferme en soi, et cela co-originellement, la mort et l’être-en-dette. L’être-résolu qui devance ne fait que comprendre proprement et totalement, c’est-à-dire originellement, le pouvoir-être-en-dette vis-à-vis-de-soi-même |L’être-en-dette vis-à-vis-de-soi-même, qui relève originellement de la constitution d’être du Dasein, doit être distingué du status corruptionis, l’état de péché, pris au sens théologique. Il se peut que la théologie trouve dans l’être-en-dette vis-à-vis-de-soi-même, tel qu’il est existentialement déterminé, une condition ontologique de la possibilité de fait dudit status corruptionis. La faute que renferme l’idée de ce status est d’une nature tout à fait particulière. Elle a sa propre attestation, laquelle reste radicalement fermée à toute expérience philosophique. L’analyse existentiale de l’être-en-dette vis-à-vis-de-soi-même n’apporte de preuve ni pour, ni contre la possibilité du péché. En toute rigueur, dans la mesure où, en tant que questionnement philosophique, l’ontologie du Dasein ne « sait », par principe, rien du péché, on ne peut même pas dire qu’elle laisse par elle-même cette possibilité vraiment ouverte|. (62.al. 4)

La compréhension de ce que dit la voix-de-la-conscience découvre, du même coup, la tendance qu’a le Dasein à se perdre dans le on. L’être-résolu conduit le Dasein vers son pouvoir-être-soi-même le plus authentiquement sien. Dès lors que le Dasein comprend que l’être-destinalisé-par-la-mort est sa possibilité la plus ultime, le pouvoir-être qui est le sien devient authentique et lucide. (62.al. 5)

Dans l’appel de la vocation, la voix-de-la-conscience néglige tout prestige et tout pouvoir « mondains » du Dasein. Impitoyable, cet appel individue le Dasein dans son pouvoir-être-en-dette vis-à-vis-de-soi-même qu’il lui enjoint d’être. La rigueur sans faille de l’esseulement essentiel du pouvoir-être le plus authentiquement sien ouvre le devancement de la mort comme une possibilité non relative. L’être-résolu qui devance fait que la voix-de-la-conscience s’imprègne du pouvoir-être-en-dette vis-à-vis-de-soi-même qui est le pouvoir-être non relatif du Dasein le plus authentiquement sien. (62.al. 6)

Le assumer-une-conscience-de-soi signifie que le Dasein est prêt à être interpellé au sujet de l’être-en-dette vis-à-vis-de-soi-même le plus authentiquement sien, lequel être le déterminait en situation avant tout engagement factuel de sa part, ainsi qu’après qu’il ait respecté ledit engagement. Cet être-en-dette vis-à-vis-de-soi-même préalable et continuel ne manifeste sans occultation son caractère préalable que lorsque ce dernier s’inscrit dans la possibilité qui, pour le Dasein, est indépassable. Dès lors que, en la devançant, l’être-résolu a ramené dans son pouvoir-être la possibilité de la mort, l’existence authentique du Dasein ne peut plus être dépassée par rien. (62.al. 7)

Avec le phénomène de l’être-résolu, nous avons ainsi été conduits en face de la vérité originelle de l’existence. Dès lors qu’il est résolu, le Dasein est révélé à lui-même dans ce qui est son pouvoir-être en situation-d’action, et cela de telle sorte qu’il est lui-même ce révélateur et cet être-révélé. À la vérité appartient un tenir pour vrai qui correspond à cet être-révélé. S’approprier expressément ce qui est ouvert ou ce qui est dévoilé c’est être-certain. La vérité originelle de l’existence réclame un être-certain qui lui soit co-originel, lequel consiste à se maintenir dans ce que l’être-résolu ouvre. Ce dernier se donne la situation-d’action, et se porte en elle. La situation-d’action ne se laisse pas supputer ni donner par avance comme le ferait un étant substantiel attendant qu’on le saisisse. Elle ne va être ouverte qu’au moment où le Dasein prend lui-même une décision libre, décision dans un premier temps indéterminée, mais ouverte à ce qu’elle puisse être déterminée. Que signifie alors la certitude appartenant à un tel être-résolu ? La certitude s’en tient à ce qui est ouvert par la résolution. Mais cela veut dire : elle ne peut justement pas s’obstiner sur la situation ; il lui faut au contraire comprendre la résolution d’après son propre sens d’ouverture qui doit forcément être libre et gardée ouverte pour la possibilité du moment. La certitude de la résolution signifie : se maintenir libre de pouvoir effectivement se reprendre à chaque fois que nécessaire. Toutefois, un tel tenir pour vrai qui est inhérent à l’être-résolu (en tant que vérité de l’existence) ne fait en aucune façon retomber dans l’irrésolution. Bien au contraire : ce tenir pour vrai en tant que se-maintenir-libre de se reprendre est l’être-résolu authentique, résolu à réinstancier l’être-résolu lui-même. Par là précisément la propension à se perdre dans l’irrésolution est existentiellement surmontée. C’est bien le sens qu’a le tenir pour vrai qui participe de l’être-résolu : il tend à se maintenir continuellement libre, c’est-à-dire à se maintenir libre pour le pouvoir-être total du Dasein. Cette certitude continuelle ne va être garantie à l’être-résolu qu’à la seule condition qu’elle se rapporte à la possibilité dont il peut être certain. Dans sa mort, il faut que le Dasein se « reprenne » simplement. Continuellement certain que la mort arrivera, c’est-à-dire la devançant, l’être-résolu acquiert la certitude authentique et totale qui est la sienne. (62.al. 8)

Toutefois, le Dasein est tout aussi originellement dans la non-vérité. L’être-résolu qui devance lui procure la certitude originelle de son état fermé. Alors qu’il est résolu et devance, le Dasein se tient ouvert pour sa propension à se perdre dans l’irrésolution inhérente au on, propension qui est continuelle et toujours possible puisque provenant de l’origine de l’être du Dasein. En tant que possibilité, l’irrésolution est tout aussi certaine pour le Dasein. Lucide sur lui-même, l’être-résolu comprend que la résolution face à la situation du moment extraira l’indétermination de son pouvoir-être. L’être-résolu sait ce qu’il en est de l’indétermination qui ne cesse de régir un étant qui existe. Ce savoir, toutefois, s’il veut correspondre à l’être-résolu authentique, doit provenir lui-même d’une ouverture authentique. Mais en dépit du fait que le pouvoir-être est à chaque fois devenu certain de lui-même au moment où la résolution est prise, l’indétermination se manifeste avant tout dans l’être-destinalisé-par-la-mort. Le devancement de la mort porte le Dasein en face d’une possibilité qui reste continuellement certaine et qui pourtant, à chaque instant, reste indéterminée quant au moment où sa possibilité se transformera en nécessité. Ladite possibilité rend manifeste le fait que cet étant a été jeté-là dans l’indétermination de sa « situation-limite » ; dès lors qu’il se résout à celle-ci, le Dasein conquiert son pouvoir-être-total authentique. C’est dans l’angoisse que l’indétermination de la mort s’ouvre originellement. Mais cette angoisse originelle, l’être-résolu aspire à s’en charger. Il fait disparaître tout ce qui dissimule au Dasein le fait qu’il est abandonné à lui-même. Le rien auquel l’angoisse confronte le Dasein révèle la négativité qui le détermine dans son origine et l’incite à être lui-même en tant qu’être-jeté-là vers la mort. (62.al. 9)

Successivement, l’analyse a révélé les moments de la modalisation qui se développent à partir de l’être-destinalisé-par-la-mort, en tant que la mort est la possibilité du Dasein la plus authentiquement sienne, non relative, indépassable, certaine et pourtant indéterminée, modalisation à laquelle, de lui-même, tend l’être-résolu. Ce n’est qu’en tant qu’être-résolu qui devance qu’il est authentiquement et totalement ce qu’il peut être. (62.al. 10)

Mais inversement, c’est avant tout l’interprétation de la « connexion » entre l’être-résolu et le devancement qui a atteint la pleine compréhension existentiale du devancement lui-même. Jusqu’à présent, ce dernier ne pouvait valoir qu’en tant que transposition ontologique du souci. Ce qui se montre désormais, c’est que le devancement n’est pas une possibilité que nous avons imposée au Dasein ; c’est au contraire le mode d’un pouvoir-être existentiel attesté dans le Dasein, mode dont il se charge, pour autant que, en tant que résolu, il se comprend authentiquement. Le devancement n’« est pas » une conduite gratuite, mais il faut le concevoir comme étant la condition de possibilité de l’être-résolu tel qu’il est existentiellement attesté, et d’après cela, il faut le concevoir comme étant la condition de possibilité, concomitamment attestée, de l’authenticité dudit être. « Penser à la mort » authentiquement, c’est assumer-une-conscience-de-soi, et cela en étant devenu existentiellement lucide sur soi. (62.al. 11)

Si, en tant qu’il est authentique, l’être-résolu a une propension au mode d’être que délimite le devancement, mais si en outre le devancement constitue le pouvoir-être-total authentique du Dasein, alors, dans l’être-résolu tel qu’il est existentiellement attesté est simultanément attesté un pouvoir-être-total authentique du Dasein. La question du pouvoir-être-total est une question existentielle toujours facticiellement constituée. Le Dasein y répond en étant résolu. La question du pouvoir-être-total du Dasein s’est désormais totalement débarrassée de ce que nous avions indiqué en commençant |§ 45| comme la caractérisant, à savoir qu’elle se présente initialement comme une question théorique, d’ordre méthodologique, propre à l’analytique du Dasein et née de l’effort pour accéder à un « être-donné » complet du Dasein total. La question de la complétude du Dasein, que nous n’avons d’abord examinée que de façon ontologique, était assurément légitime, mais seulement parce qu’elle repose sur une possibilité ontique du Dasein. (62.al. 12)

La clarification de la « connexion » entre le devancement et l’être-résolu, clarification prise au sens de la possible modalisation de celui-ci par celui-là, a abouti à la mise en lumière phénoménale d’un pouvoir-être-total propre du Dasein. Si, avec ce phénomène, une modalité d’être du Dasein est atteinte, dans laquelle il se porte face à lui-même avec pour perspective lui-même, alors il faut que cela reste ontiquement et ontologiquement inintelligible pour l’explicitation quotidienne du Dasein tel que le connaît le bon sens du on. Ce serait se méprendre que de vouloir repousser, comme étant « non prouvée », cette possibilité existentielle, ou de vouloir la « prouver », mais seulement en théorie. Pourtant, le phénomène a besoin d’être préservé des altérations les plus grossières. (62.al. 13)

L’être-résolu qui devance n’est pas une échappatoire qui « surmonterait » la mort ; il est au contraire la compréhension qui, suite à l’appel de la voix-de-la-conscience, regarde la mort en face et s’empare de l’existence du Dasein pour le livrer à sa possibilité la plus authentique en dissipant la dissimulation que, pour la fuir, il entretenait lui-même. L’être-prêt-à-assumer que nous avons déterminé comme être-destinalisé-par-la-mort ne signifie pas non plus la retraite fuyant le monde, mais il signifie l’acte de se porter sans illusions et résolument dans l’« action ». L’être-résolu qui devance ne procède pas davantage d’une prétention « idéaliste » qui survolerait l’existence et ses possibilités ; il naît au contraire de la compréhension sereine des possibilités fondamentales, facticielles, du Dasein. Une angoisse sereine porte le Dasein en face de son pouvoir-être individué et s’accompagne de la joie d’être armé pour cette possibilité. En elle, le Dasein se libère des « occasions » de divertissement que la curiosité affairée se procure en priorité à partir des incidents du monde. L’analyse de ces états d’âme de base excède cependant les limites que la présente interprétation s’est fixées dans la mesure où son objectif relève de l’ontologie fondamentale. (62.al. 14)

Mais l’interprétation ontologique de l’existence du Dasein qui vient d’être menée ne s’appuie-t-elle pas sur une conception ontique bien précise de l’existence authentique, autrement dit sur un idéal particulier du Dasein ? Il en est bien ainsi. Ce fait originel, non seulement ne saurait être nié, mais, dans sa nécessité positive, il nous faut le concevoir en partant de l’objet que notre investigation a pris pour thème. Jamais la philosophie ne voudra nier ses « présupposés », mais jamais non plus on ne l’autorisera à se contenter de les admettre. Ses présupposés, elle les porte au concept et, en se conformant à eux, elle porte ce qui en fait des présupposés à se déployer de façon plus pénétrante. Telle sera la fonction de notre méditation sur la méthode. (62.al. 15)

§ 63 La situation herméneutique qui a été conquise en tant qu’elle permet une interprétation du sens d’être du souci et ce qui caractérise la méthode de l’analytique existentiale en général (17 al.)

Avec l’être-résolu qui devance, nous avons rendu le Dasein phénoménalement visible quant à son authenticité possible et, du même coup, à sa complétude possible. La situation herméneutique |§ 45|, qui jusqu’ici était restée insuffisante pour expliciter le sens d’être du souci, a désormais reçu l’originarité requise. Le Dasein est désormais placé dans l’acquis préalable originel et adéquat quant à son pouvoir-être-total authentique ; la vue préalable directrice, l’idée de l’existence, a été déterminée grâce à la clarification du pouvoir-être le plus authentiquement sien du Dasein ; la structure de l’être du Dasein ayant ainsi été concrètement élaborée, sa différence ontologique vis-à-vis de tout étant substantiel est devenue si nette que la saisie préalable de l’existentialité du Dasein possède désormais une articulation suffisante pour guider avec assurance l’élaboration conceptuelle des existentiaux. (63.al. 1)

Le chemin qu’a jusqu’ici parcouru l’analytique du Dasein est devenu la démonstration concrète de la thèse que nous n’avions fait au départ que suggérer |§ 5| : sur le plan ontologique, l’étant que nous sommes à chaque fois nous-mêmes est le plus éloigné. La raison s’en trouve dans le souci lui-même. C’est en effet la déchéance-dans-le-quotidien près de ce qui, dans le « monde », s’offre à sa préoccupation immédiate qui conduit l’explicitation quotidienne du Dasein et dissimule ontiquement son être propre, et cela au point d’aller jusqu’à dénier parfois le fait qu’une ontologie dirigée sur cet étant soit la base qui lui est adéquate. Voilà pourquoi la donation phénoménale originelle de cet étant n’a rien d’évident et cela même si, de prime abord, l’ontologie suit le cours de l’explicitation quotidienne du Dasein. Pour dégager l’être originel du Dasein, il faut bien plutôt le lui arracher à contre-courant de sa propension à expliciter, selon la pente de la déchéance-dans-le-quotidien, de façon ontico-ontologique. (63.al. 2)

Ce n’est pas seulement la mise en lumière des structures les plus élémentaires de l’être-au-monde, à savoir (i) le concept de monde, (ii) la clarification du « qui » quotidien et moyen de l’étant Dasein en tant qu’il est-dans-le-monde, autrement dit le soi-comme-on, (iii) l’interprétation du être-le-là, mais ce sont avant tout les analyses du souci, de la mort, de la voix-de-la-conscience et de l’être-en-dette qui montrent comment, dans le Dasein lui-même, le bon sens de la préoccupation qui caractérise le on s’est emparé de son pouvoir-être et de son ouverture, c’est-à-dire, plutôt, de sa fermeture à lui-même. (63.al. 3)

Par suite, ce que le mode d’être du Dasein requiert d’une interprétation ontologique qui s’est fixée pour objectif d’atteindre l’originarité de sa mise en lumière phénoménale, c’est que ladite interprétation conquière l’être de cet étant en s’opposant à la propension qu’a généralement l’interprétation à le dissimuler. C’est pourquoi l’analyse existentiale a en permanence, même quand ses prétentions en restent à la sobriété et l’« évidence » de l’explicitation quotidienne, le caractère d’une violence. Certes, il s’agit là d’un caractère distinctif qui est surtout propre à l’ontologie du Dasein ; toutefois, dans la mesure où la compréhension qui se forme dans ladite interprétation est structurée par une transposition de l’ontique à l’ontologique, ce caractère sied à toute interprétation. Mais pour qu’il en soit bien ainsi, n’y a-t-il pas, à chaque fois, une direction et des règles à suivre qui sont propres à l’interprétation ? D’où les transpositions ontologiques vont-elles tirer l’évidence que le « résultat » auquel elles aboutissent est phénoménalement pertinent ? L’interprétation ontologique transpose un étant donné existentiellement vers l’être qui est le sien, et ce afin de porter sa structure d’être au concept. Quels sont les indicateurs grâce auxquels elle s’assure d’atteindre l’être qu’elle vise et qui permettent à la transposition de se diriger avec sûreté ? Et qu’advient-il si l’étant que l’on prend pour thème de l’analytique existentiale va, dans sa manière d’être, jusqu’à cacher l’être qui lui appartient ? Pour répondre à ces questions, il faut de prime abord se restreindre à clarifier l’analytique du Dasein à la hauteur de ce qu’elle réclame. (63.al. 4)

A l’être du Dasein appartient l’explicitation qu’il se donne de lui-même à lui-même. Dans la découverte inhérente à la vue-native préoccupée sur le « monde », la préoccupation est elle-même conjointement prise en vue. Le Dasein a toujours déjà une compréhension de soi qui le projette dans des possibilités existentielles déterminées, et cela même quand ses projections procèdent du bon sens du on. Que ce soit de façon expresse ou non, que ce soit de façon adéquate ou non, le Dasein a d’une façon ou d’une autre, une compréhension de l’existence. Toute compréhension ontique a ses « considérants », même si ceux-ci ne sont que pré-ontologiques, c’est-à-dire même si ils ne sont pas conçus de façon thématique et théorique. Toute question ontologique sur l’être du Dasein est déjà préparée par le mode d’être de celui-ci. (63.al. 5)

Certes, mais où faut-il aller chercher ce qui constitue l’existence « authentique » du Dasein ? Sans une compréhension existentielle, toute analyse de l’existentialité reste dépourvue d’assise. Sous-jacente à l’interprétation que nous avons poursuivie de l’authenticité et du Dasein dans sa totalité, n’y a-t-il pas une conception ontique de l’existence qui, pour possible qu’elle soit, n’a cependant nul titre à être obligatoire pour tout un chacun ? Jamais l’interprétation existentiale ne prétendra faire acte d’autorité sur des possibilités et des obligations existentielles. Mais ne faut-il pas qu’elle se justifie en ce qui concerne les possibilités existentielles à l’aide desquelles elle fournit à l’interprétation ontologique son sol ontique ? Si l’être du Dasein est par essence pouvoir-être et être-libre pour ses possibilités les plus siennes, et si, dans la liberté, il n’existe jamais qu’au profit desdites possibilités (ou, dans l’absence de liberté, au détriment des mêmes possibilités), l’interprétation ontologique est-elle alors à même de faire autrement que de prendre des possibilités ontiques (des modalités du pouvoir-être) pour base et de transposer celles-ci pour en extraire leurs conditions de possibilité ontologique ? Et si le Dasein s’explicite le plus souvent à partir de sa propension à se perdre dans la préoccupation à l’endroit du « monde », la détermination des possibilités existentielles et ontiques qui est conquise à contre-courant de cette propension et l’analyse existentiale qui est fondée sur cette détermination, ne sont-elles pas la seule manière qui convienne d’ouvrir un tel étant ? La violence de la transposition ne devient-elle pas alors le seul moyen de délivrer la réalité phénoménale du Dasein sans déguisement ? (63.al. 6)

Sur le plan de la méthode, il se peut que soit requise la donation par avance, « forcée », de possibilités de l’existence, mais cette donation se dérobe-t-elle à la libre appréciation ? Si l’analytique s’appuie sur l’être-résolu qui devance comme pouvoir-être existentiellement authentique, être-résolu par la possibilité duquel le Dasein résonne d’un appel à la vocation, et cela en totalité à partir de l’origine de son existence, est-ce à dire que cette possibilité est en ce cas quelconque ? La modalité d’être conformément à laquelle le pouvoir-être du Dasein se rapporte à sa possibilité ultime, à savoir la mort, le Dasein en est-il doté accidentellement ? L’être-au-monde a-t-il une instance de son pouvoir-être plus élevée que sa mort ? (63.al. 7)

À supposer même que la transposition de l’ontique vers l’ontologique du Dasein qui a permis d’inférer un pouvoir-être-total authentique ne soit pas quelconque, l’interprétation existentiale de ce phénomène s’en trouve-t-elle pour autant justifiée ? D’où cette interprétation tire-t-elle son fil conducteur, sinon d’une idée « présupposée » de l’existence en général ? D’après quoi les étapes de l’analyse de la quotidienneté inauthentique se sont-elles réglées, si ce n’est d’après le concept de l’existence que nous avons posé au départ ? Et quand nous disons que le Dasein est dans le mode de la « déchéance-dans-le-quotidien », et que, pour cette raison, il lui faut, contre cette tendance d’être, arracher de haute lutte l’authenticité de son pouvoir-être, en partant de quelle perspective cela est-il déclaré ? Tout n’est-il pas d’ores et déjà éclairé, quand bien même ce serait seulement faiblement, par l’idée « présupposée » d’existence ? D’où celle-ci tire-t-elle sa légitimité ? La première transposition qui l’indiquait était-elle totalement dépourvue de guide ? En aucun cas. (63.al. 8)

L’idée d’existence, prise comme indication formelle, a eu pour guide la compréhension de l’être inhérente au Dasein. En l’absence de toute transparence ontologique, il ne reste pas moins vrai que l’étant nommé Dasein je le suis à chaque fois moi-même, et cela en tant que pouvoir-être pour lequel il y va en son être de cet être même. Le Dasein se comprend comme être-au-monde, même s’il le fait sans assurance ontologique suffisante. Alors que le Dasein est de la sorte, l’étant dont le mode d’être est celui de l’utilisable et celui du substantiel est présent. Si éloignée d’un concept ontologique que puisse être la différence entre substantialité et existence, et même si le Dasein comprend de prime abord l’existence sur le mode de la substantialité, il ne fait pas qu’être substantiel ; au contraire, quelque mythique et magique qu’ait même toujours été son explicitation, il s’est toujours compris lui-même d’une façon ou d’une autre. Sans quoi il ne « vivrait » pas dans le mythe et ne se préoccuperait pas, sous forme de rite et de culte, de magie. L’idée d’existence que nous avons posée au départ est une ébauche de la structure formelle du comprendre général qu’a le Dasein de lui-même qui n’a cependant pas valeur d’obligation existentielle. (63.al. 9)

C’est en prenant cette idée pour guide que s’est déroulée l’analyse préparatoire de la quotidienneté immédiate, et ce jusqu’à délimiter conceptuellement le souci. Ce phénomène a permis de saisir avec davantage de rigueur l’existence et ce qui relève d’elle, les relations qu’elle entretient avec la facticité et la déchéance-dans-le-quotidien. La structure du souci a fourni sa base à une première différenciation ontologique entre l’existence et la réalité |§ 43|. Ce qui nous a conduit à la thèse suivante : l’essence de l’homme est l’existence |§ 43|. (63.al. 10)

Mais même si cette idée de l’existence est, à ce stade, formelle et donc sans force obligatoire existentielle, elle renferme néanmoins déjà en soi un « contenu » ontologique précis, même s’il n’est pas encore mis en valeur, contenu qui « présuppose » une idée de l’être en lui-même, tout comme le fait l’idée de réalité, telle que nous l’avons délimitée par opposition à celle d’existence. C’est seulement dans l’horizon de cette idée de l’être que peut se dérouler la différenciation entre l’existence et la réalité. L’une et l’autre désignent pourtant bien l’être. (63.al. 11)

Mais ne convient-il pas de conquérir l’idée ontologiquement clarifiée de l’être « en général » au moyen de l’élaboration de la compréhension de l’être qui relève du Dasein ? Cette idée ne se laisse saisir originellement que sur la base d’une interprétation elle-même originelle du Dasein élaborée d’après le fil conducteur de l’idée d’existence. Dans ces conditions, ne devient-il pas en fin de compte tout à fait notoire que le problème que nous avons déployé, problème qui relève de l’ontologie fondamentale, se meut dans un « cercle » ? (63.al. 12)

Sans doute avons-nous déjà montré, lors de l’analyse de la structure du comprendre en général, que ce que l’expression inadéquate de « cercle » entend dénigrer appartient à l’essence du comprendre lui-même et en est un trait distinctif |§ 32|. Néanmoins, étant donné la clarification que nous avons apportée à la situation herméneutique de la problématique de l’ontologie fondamentale, il faut que notre investigation revienne explicitement sur l’« argument du cercle ». L’« objection du cercle », objection que l’on oppose à l’interprétation existentiale, veut dire ceci : l’idée de l’existence et de l’être « en général » est « présupposée », et c’est « d’après » elle que le Dasein va être interprété, et ce afin de conquérir l’idée de l’être. Mais que signifie l’acte de « présupposer » ? Poser l’idée de l’existence, est-ce poser comme point de départ une proposition à partir de laquelle, conformément aux règles formelles de l’inférence, nous déduirions d’autres propositions concernant l’être du Dasein ? Ou bien ce présupposer n’a-t-il pas plutôt le caractère de la transposition compréhensive, de telle sorte que l’interprétation qui configure ce comprendre donne justement pour la première fois la parole à l’étant à expliciter lui-même, afin qu’il décide s’il fournira la constitution d’être en direction de laquelle il fut ouvert comme indication formelle par la transposition ? Quant à son être, l’étant peut-il vraiment prendre le parler d’une autre manière ? Si l’on n’est pas capable, dans l’analytique existentiale, d’« éviter » un « cercle » dans la preuve, c’est parce que cette dernière n’est pas apportée d’après les règles de la « logique inférentielle ». Ce que le bon sens, pensant satisfaire à la rigueur de l’investigation scientifique, souhaite écarter en évitant le « cercle » n’est rien d’autre que la structure de base du souci. Parce qu’il est originellement constitué par ce dernier, le Dasein est en-avance-sur-soi-même. Tandis qu’il est, il s’est projeté vers des possibilités déterminées de son existence, et dans de telles projections existentielles, il a concomitamment pré-ontologiquement projeté l’existence et l’être. Mais alors, cette projection qui est essentielle au Dasein, peut-elle être refusée à la recherche ontologique, laquelle, étant elle-même, comme toute recherche, un mode d’être du Dasein qui ouvre, désire configurer la compréhension de l’être qui relève de l’existence et la porter au concept ? (63.al. 13)

L’« objection du cercle » provient, par conséquent, elle-même d’un mode d’être du Dasein. Pour le bon sens propre à l’étant qui, dans la préoccupation, fait corps avec le on, quelque chose de tel qu’une transposition de l’ontique à l’ontologique reste nécessairement déconcertant parce que ledit bon sens se dresse « radicalement » contre. Que ce soit en « théorie » ou que ce soit en « pratique », le bon sens ne se préoccupe que de l’étant qu’il peut saisir au sein de sa vue-native. Ce qu’a de particulier le bon sens repose en ceci qu’il n’entend faire l’expérience que du seul étant « de fait » et se débarrasser de toute problématique de la compréhension de l’être. Le bon sens méconnaît qu’il ne peut faire « de fait » l’expérience de l’étant qu’à partir du moment où il a déjà compris l’être, et cela même s’il n’a pas porté au concept cette compréhension. Le bon sens se méprend ainsi sur la compréhension. Et c’est pourquoi il lui faut également faire nécessairement passer pour « violent » ce qui outrepasse la portée de la compréhension qui est la sienne, ou, plus exactement, il lui faut faire passer pour violent le dépassement qu’implique la compréhension de l’être. (63.al. 14)

Déplorer le « cercle » de la compréhension, c’est donc exprimer une double méconnaissance. 1°) C’est méconnaître le fait que la compréhension elle-même constitue un mode d’être de base du Dasein. 2°) C’est méconnaître le fait que ce qui constitue cet être, c’est le souci. Mais nier le cercle ou vouloir en faire un mystère, voire vouloir le surmonter, cela signifie consolider cette méconnaissance. Il faut bien plutôt s’efforcer de sauter dans ce « cercle » de façon originelle et totale, et ce afin de s’assurer, dès l’amorce de l’analyse du Dasein, d’un regard plein sur l’être du Dasein. Pour l’ontologie du Dasein, ce n’est pas trop, mais trop peu, que l’on « présuppose » lorsque l’on « part » d’un je dépourvu de monde, pour ensuite lui procurer un objet et un rapport à cet objet, rapport ontologiquement dépourvu de base. Le regard porte trop court lorsque l’on en vient à faire de « la vie » un problème et à prendre ensuite, incidemment, la mort elle aussi en considération. Dès lors que l’on se limite « de prime abord » à un « sujet théorique », pour ensuite le compléter, « du côté pratique », par une « éthique » surajoutée, c’est de manière artificielle et dogmatique que l’objet pris pour thème est tronqué. (63.al. 15)

Il se peut que cela suffise à clarifier le sens existential qu’a la situation herméneutique d’une analytique originelle du Dasein. Une fois qu’a été mis en évidence l’être-résolu qui devance, le Dasein se trouve conçu dans sa totalité propre. L’authenticité du pouvoir-être-soi-même garantit la vue préalable sur l’existentialité originelle, et cette dernière assure la frappe conceptuelle de l’appareil existential adéquat et complet. (63.al. 16)

En même temps, l’analyse de l’être-résolu qui devance a conduit au phénomène de la vérité originelle proprement dite. Avant cela, nous avions montré comment, de prime abord et le plus souvent, la compréhension dominante de l’être conçoit celui-ci au sens de substantialité et, ce faisant, dissimule le phénomène originel qu’est la vérité |§ 44|. Toutefois, s’il n’est « donné » de l’être que dans la mesure où la vérité « est », et si la compréhension de l’être se modifie à chaque fois en fonction de la nature de la vérité, alors il faut que la vérité originelle et proprement dite garantisse la compréhension de l’être du Dasein et de l’être « en général ». La « vérité » ontologique de l’analyse existentiale se configure sur la base de la vérité existentielle originelle. Toutefois, celle-ci n’a pas nécessairement besoin de celle-là. La vérité existentiale, la vérité la plus originelle sur laquelle tout repose et à laquelle aspire la problématique relevant de l’ontologie fondamentale – problématique qui prépare à la question de l’être en général – c’est l’être-ouvert du sens d’être qu’a le souci. Afin de dégager ce sens, il est nécessaire de tenir prêt et non tronqué le fond structurel intégral du souci. (63.al. 17)

§ 64 Souci et ipséité (14 al.)

L’unité des moments constitutifs du souci que sont l’existentialité, la facticité et la propension à la déchéance-dans-le-quotidien a rendu possible une première approche ontologique du tout structurel du Dasein. La structure du souci, nous l’avons portée à la formule existentiale suivante : en-avance-sur-soi de ce-qui-fut-dans-un-monde en tant qu’être-auprès-de-l’étant intramondain. La structure du souci ne naît pas d’un ajointement de parties et pourtant elle est ordonnée |§ 41|. Il nous a fallu évaluer jusqu’à quel point ce résultat ontologique répondait aux exigences que posait une interprétation originelle du Dasein |§ 45|. Cette méditation a montré que ni le Dasein total, ni son pouvoir-être authentique, n’avaient alors été pris pour thème. Pourtant, notre tentative de saisir phénoménalement le Dasein total a semblé échouer précisément sur la structure du souci. Le en-avance-sur-soi est apparu comme étant un pas-encore. Mais dès lors que notre réflexion a été menée de façon franchement existentiale, le en-avance-sur-soi, que nous avons caractérisé comme une réserve d’être, a été révélé comme étant un être-destinalisé-par-la-mort devant son pouvoir-être le plus authentiquement sien. La compréhension originelle de l’appel de la vocation s’est alors manifestée comme étant l’être-résolu qui devance. L’être-résolu renferme en soi le pouvoir-être-total authentique du Dasein. La structure du souci ne plaide pas contre un être-total possible, elle est au contraire sa condition de possibilité existentiale. Au cours de ces analyses, il est devenu clair que les phénomènes existentiaux que sont la l’être-destinalisé-par-la-mort, la voix-de-la-conscience et l’être-en-dette sont ancrés dans le phénomène du souci. La structure du Dasein s’est ainsi enrichie et la question de l’unité et de la complétude de cette structure existentiale est de ce fait devenue plus urgente. (64.al. 1)

Comment allons-nous concevoir cette unité ? Comment le Dasein peut-il exister de façon unitaire dans les modalités et dans les possibilités de son être que nous venons de rappeler ? Manifestement, il ne le peut que dans la mesure où il est lui-même cet être dans ses possibilités essentielles, autrement dit, il ne le peut que dans la mesure où c’est un je qui est cet étant. C’est le « je » qui semble « assurer la cohésion » de ce tout structurel dans sa complétude. De tout temps, dans l’ontologie de cet étant, le « je » et le « soi-même » ont été conçus comme étant un support : substance ou sujet. Dès la phase préparatoire où a été caractérisée la quotidienneté, la présente analytique existentiale s’est également heurtée à la question du « qui est-ce qui ? » du Dasein. Il est alors apparu ceci : de prime abord et le plus souvent, le Dasein n’est pas lui-même, il est au contraire perdu dans le soi-comme-on. Ce dernier est une modification existentielle du soi-même par lequel il passe de la modalité d’être inauthentique à la modalité d’être authentique. Mais la question de la constitution ontologique de l’ipséité est restée sans réponse. Certes, nous avons fixé les principes permettant d’atteindre le fil conducteur du problème |§ 25| : si le soi-même fait partie des déterminations essentielles du Dasein dont l’« essence » réside dans l’existence, alors il faut que l’ipséité ait un fondement existential. Il est également apparu, et cela de façon négative, qu’afin de caractériser ontologiquement le on, nous ne pouvions employer des catégories propres à la substantialité, comme, précisément, la catégorie de substance. Il devient désormais clair que le souci ne saurait être ontologiquement dérivé de la réalité substantielle ou reconstruit à l’aide des catégories tirées de la réalité substantielle |§ 43|. Le souci renferme déjà en soi le phénomène du soi-même, si tant est que soit légitime notre thèse suivant laquelle l’expression « souci de soi », calquée sur la sollicitude en tant qu’action de se soucier des autres, est une tautologie |§ 41|. Mais en ce cas, le problème de la détermination ontologique de l’ipséité du Dasein s’accentue et devient la question de la « connexion » existentiale entre le souci et l’ipséité. (64.al. 2)

Pour éclaircir l’existentialité du soi-même, nous prendrons comme point de départ « naturel » l’explicitation quotidienne du Dasein par lui-même, lequel s’exprime ouvertement sur « soi-même » dans l’acte de dire « je ». À cette occasion, parler à voix haute n’est pas nécessaire. En disant « je », cet étant se désigne lui-même. La teneur de cette expression passe pour simple. Ce qu’elle désigne, c’est à chaque fois moi et rien de plus. En tant qu’il est cette simplicité, le « je » n’est pas non plus la détermination d’autres choses, il n’est pas lui-même un prédicat, il est au contraire le « sujet » absolu. Ce qui s’extériorise dans l’acte de dire « je » et ce qui est par là-même visé, vient toujours à être rencontré comme étant ce qui reste le même. Les caractères que sont la « simplicité », la « substantialité » et la « personnalité », caractères que Kant, par exemple, met à la base de sa doctrine des « paralogismes de la raison pure » |Critique de la raison pure, B 399, surtout la version de la première édition, p. A 348 sq|, proviennent d’une authentique expérience pré-phénoménologique. La question reste de savoir si ce dont on fait de cette façon l’expérience ontique peut être interprété ontologiquement à l’aide des « catégories » en question. (64.al. 3)

Il est vrai que Kant, en se conformant rigoureusement au fond phénoménal que procure l’acte de dire « je » montre que sont illégitimes les thèses ontiques portant sur la substance de l’âme, lesquelles thèses sont déduites des caractères que l’on vient de citer. Mais de cette façon, il ne fait que rejeter une explication ontique erronée du je. Ce faisant, l’interprétation ontologique de l’ipséité n’est pas conquise ni même préparée. Quand bien même Kant cherche, et cela plus rigoureusement que ses devanciers, à fixer la teneur phénoménale de l’acte de dire « je », il recule à nouveau en glissant dans la même ontologie, inadéquate, de la substantialité, dont il a pourtant dénié que les fondements ontiques s’appliquent au je. C’est ce qu’il convient de montrer plus précisément afin, ce faisant, de fixer le sens ontologique qu’a le point de départ de l’analyse de l’ipséité prise dans l’acte de dire « je ». L’analyse kantienne du « je pense » ne sera désormais convoquée, et ce à titre d’illustration, qu’autant que le requiert la clarification de la problématique en question |Pour l’analyse de l’aperception transcendantale, M. Heidegger, Kant et le problème de la métaphysique, 2ème édition inchangée, 1951, IIIème section|. (64.al. 4)

Le « je » est compris comme une conscience accompagnant tous les concepts. Avec lui, « rien de plus n’est représenté qu’un sujet transcendantal des pensées ». La « conscience en soi, n’(est) pas tant une représentation […], qu’une forme de la représentation en général » |Critique de la raison pure, B 404|. Le « je pense » est « la forme de l’aperception qui s’attache à toute expérience, et qui la précède » |Ibid., p. A 354|. (64.al. 5)

C’est à juste titre que Kant saisit la teneur phénoménale du « je » dans l’expression « je pense » ou bien que, dans le cas où parallèlement est prise en considération l’incorporation de la « personne pratique » dans l’« intelligence », il saisit cette teneur dans l’expression « j’agis ». Dire « je », au sens que donne Kant au mot, il faut le saisir comme revenant à dire « je pense ». Kant cherche à fixer la teneur phénoménale du je en tant que res cogitans. Si, ce faisant, il qualifie ce je de « sujet logique », cela ne veut pas dire que le je serait somme toute un concept conquis par voie logique. Le je est bien plutôt le sujet du comportement logique, le sujet qui assure la liaison de la logique. Le « je pense » veut ainsi dire « je relie ». Toute liaison est un « je relie ». Sous-jacent à toute composition et à toute mise en rapport, se trouve toujours déjà le je – hupokeimenon. Par suite, le sujet est défini comme « conscience de soi » et non pas représentation ; il est, à ce titre, la « forme » dans laquelle se coule la représentation. Ceci veut dire : loin d’être quelque chose de représenté, le « je pense » est au contraire la structure formelle rendant possible l’acte de se représenter, acte par lequel du représenté, donc, devient possible. Forme de la représentation, cela ne désigne ni un cadre, ni un concept universel, mais cela désigne ce qui, en tant qu’eidos, fait de tout ce qui est représenté et de tout acte de se représenter ce qu’il est. Dès lors qu’on le comprend comme étant la forme de la représentation, le je est un « sujet logique ». (64.al. 6)

Ce qu’a de positif l’analyse kantienne tient en deux points : d’une part, Kant aperçoit l’impossibilité d’ordre ontique de ramener le je à une substance ; d’autre part, il fixe le je comme étant un « je pense ». Toutefois, il saisit ce je à nouveau comme étant sujet, et ce faisant il le saisit en un sens ontologiquement inadéquat. En effet, le concept ontologique de sujet ne caractérise pas l’ipséité du je en tant que soi-même mais la mêmeté et la constance d’un étant toujours déjà substantiel. Déterminer ontologiquement le je en tant que sujet veut dire le poser en tant qu’un étant substantiel. L’être du je est compris comme étant la réalité de la res cogitans |Que Kant, en restant quand même à l’intérieur de l’horizon de l’ontologie traditionnelle, en l’occurrence inadéquate, de l’étant intramondain substantiel, ait au fond saisi comme étant « substantiel » le caractère ontologique du soi-même de la personne, c’est ce qui ressort clairement de la matière traitée par Heinz Heimsoeth dans son essai : Persönlichkeitsbewußtsein und Ding an sich in der Kantischen Philosophie in Immanuel Kant, ouvrage commémoratif pour le bicentenaire de sa naissance, 1924. Ce vers quoi tend l’essai va bien au-delà du simple exposé historique et a pour cible le problème « catégorial » que pose la personnalité. Heimsoeth dit : « on tient encore et toujours trop peu compte de l’étroite collaboration entre la raison théorique et la raison pratique telle que les met en œuvre et les envisage Kant. On fait trop peu attention ici à la manière dont même les catégories conservent expressément toute leur validité et ont vocation, sous le primat de la raison pratique, à trouver une application nouvelle, détachée du rationalisme propre à la nature (la substance, par exemple, dans la personne et la persistance liée à l’immortalité personnelle, la causalité en tant que causalité par liberté, l’interaction dans la communauté des êtres raisonnables, etc.). En tant que moyens de fixation par la pensée, elles permettent alors un nouvel accès à l’inconditionné, sans pour autant vouloir donner une connaissance rationalisante d’objets » (p. 31 sq). Mais c’est ici que le problème ontologique est vraiment ignoré. La question ne peut pas manquer d’être posée de savoir si ces « catégories » peuvent conserver leur validité originelle et n’ont besoin que d’être employées d’une façon différente, ou bien de savoir si, à la base, elles ne bouleversent pas foncièrement la problématique ontologique du Dasein. Même si la raison théorique est incorporée dans la raison pratique, le problème ontologique du soi-même comme existential reste non seulement sans solution, mais encore non posé. Sur quel sol ontologique la « collaboration » entre la raison théorique et la raison pratique va-t-elle se dérouler ? Est-ce le comportement théorique qui détermine le mode d’être de la personne ? Ou bien est-ce le comportement pratique ? Ou bien n’est-ce aucun des deux – et dans ce cas, quel comportement alors le détermine-t-il ? En dépit de leur signification fondamentale, les paralogismes ne manifestent-ils pas l’absence de sol ontologique sur lequel reposerait la problématique du soi-même, et ce depuis la res cogitans de Descartes jusqu’au concept hégélien de l’esprit ? On n’a pas du tout besoin de penser à la « manière des sciences de la nature », ou en « rationalisant », et on peut bien rester sous l’emprise de l’ontologie de la « substantialité » parce qu’en apparence elles va de soi, avec de lourdes conséquences cependant. À titre de complément important à l’essai que nous venons de citer, cf. Heimsoeth, Les motifs métaphysiques dans la formation de l’idéalisme critique, in Kant-Studien, tome XXIX (1924), p. 121 sq. Pour une critique du concept kantien du je, cf. également Max Scheler, Le formalisme en éthique et l’éthique matérielle des valeurs (cf. note 2, alinéa 5 du § 10, p. 47. N.d.T.), IIème partie. Jahrbuch für Phänomenologie und phänomenologische Forschung, Tome II (1916), p. 388 sq. Sur « la personne et le je de l’aperception transcendantale|. (64.al. 7)

Mais à quoi tient le fait que Kant ne puisse exploiter ontologiquement l’authentique base d’élan phénoménale qu’est le « je pense » et qu’il lui faille retomber dans le « sujet », c’est-à-dire dans ce qui est substantiel ? Le je n’est pas seulement « je pense » mais il est « je pense quelque chose ». Cependant, Kant ne remet-il pas lui-même toujours l’accent sur le fait que le je reste rapporté à ses représentations et ne serait rien sans elles ? (64.al. 8)

Mais ces représentations sont pour lui l’« empirique » qui vient à être « accompagné » par le je, autrement dit ce sont les phénomènes auxquels le je est « attaché ». Toutefois, Kant ne montre nulle part ce qu’est le mode d’être de cette « attache » et de cet « accompagnement ». Ce mode d’être il le comprend comme étant le fait, pour le je, d’être continuellement substantiel, et cela de pair avec ses représentations. Il est vrai que Kant a évité de couper le je de la pensée ; il le fait cependant sans poser au départ le « je pense » lui-même comme étant le « je pense quelque chose », dans la pleine consistance de son essence, et surtout sans voir dans la « présupposition » ontologique propice au « je pense quelque chose » la détermination d’être fondamentale du soi-même. Car comme le « quelque chose » reste indéterminé, le point de départ qu’est le « je pense quelque chose » est lui aussi ontologiquement sous-déterminé. Est-ce un étant intramondain qui est compris par là, auquel cas c’est alors le monde qui est implicitement présupposé ; et ce phénomène, précisément, détermine en même temps la constitution d’être du je, pour autant que l’on puisse envisager que soit quelque chose le « je pense quelque chose ». L’acte de dire « je » désigne l’étant que, à chaque fois, je suis en tant que « je-suis-au-monde ». Kant n’a pas vu le phénomène du monde et, en tenant les « représentations » à distance du contenu « à priori » du « je pense », il fut assez conséquent. Mais de ce fait, le je va être de nouveau réduit à un sujet isolé qui accompagne les représentations d’une manière ontologiquement tout à fait indéterminée |Cf. notre critique phénoménologique de la « réfutation de l’idéalisme » chez Kant, § 43 a|. (64.al. 9)

En disant « je » le Dasein s’exprime ouvertement en tant qu’être-au-monde. Mais alors, dire « je » quotidiennement, est-ce se désigner en tant qu’étant-au-monde ? Il faut ici faire une distinction. Le Dasein qui dit « je » désigne bien l’étant qu’il est lui-même. Mais son explicitation quotidienne de lui-même manifeste la propension à se comprendre à partir du « monde » dont il se préoccupe. Dans le fait ontique de se désigner lui-même, le Dasein se méprend en ce qui concerne le mode d’être de l’étant qu’il est lui-même. Et cela vaut pour la constitution fondamentale du Dasein, autrement dit pour l’être-au-monde lui-même |§ 12, 13|. (64.al. 10)

Qu’est-ce qui motive la « fuite » qui caractérise l’acte de dire « je » ? Réponse : c’est la déchéance-dans-le-quotidien du Dasein en tant qu’elle est fuite du Dasein devant lui-même et refuge dans le on. Le discours « naturel » du je, c’est le soi-comme-on qui l’effectue. Dans le « je », ce qui s’exprime ouvertement, c’est le soi-même dans lequel, de prime abord et le plus souvent, je ne suis pas authentique. Pour qui est immergé dans la diversité quotidienne et se met en chasse de ce dont il se préoccupe, le soi-même propre au je-me-préoccupe, autrement dit le soi-même oublieux de soi, se manifeste comme quelque chose de simple, continuellement le même, mais indéterminé et vide. Ce dont on se préoccupe est ce qu’on est. Que le discours ontique « naturel » du je rate la teneur phénoménale du Dasein, cela ne donne à l’interprétation ontologique du je aucun droit d’adopter cette façon de rater la problématique du soi-même et d’imposer un horizon « catégorial » qui ne convient pas à son être. (64.al. 11)

En refusant de suivre le discours quotidien, notre interprétation ontologique du « je » ne parvient sans doute pas à la solution du problème de ce qu’est ce je, mais elle parvient à indiquer la direction dans laquelle il convient de poursuivre le questionnement. Le je désigne l’étant que, en tant qu’« être-au-monde », on est et on a été. Mais ce-qui-fut-dans-un-monde comme être-auprès-de-l’étant intramondain est aussi toujours en-avance-sur-soi. Le « je » désigne ainsi l’étant pour lequel il y va de l’être de l’étant qu’il est lui-même. Avec le « je », c’est le souci qui s’exprime ouvertement, et cela, de prime abord et le plus souvent, dans le parler du je se « fuyant » lui-même dans la préoccupation. Si c’est le soi-comme-on qui dit « moi-je » le plus souvent et le plus bruyamment, c’est au fond précisément parce qu’il n’est pas authentiquement lui-même et qu’il se dérobe à son pouvoir-être le plus authentique. Si la constitution ontologique du soi-même ne se laisse ramener ni à un je substantiel ni à un « sujet », mais si c’est au contraire l’acte quotidien de fuite consistant à dire « moi-je » qu’il faut comprendre comme pouvoir-être, cela ne permet pas d’en déduire la thèse suivant laquelle le soi-même est la base du souci. Sur le plan existential, l’ipséité ne peut être déchiffrée qu’à même le pouvoir-être-soi-même authentique, c’est-à-dire à même l’authenticité de l’être du Dasein en tant que souci. C’est de cette authenticité que le maintien du soi-même reçoit son éclaircissement. Mais le phénomène du pouvoir-être authentique ouvre également le regard au maintien du soi-même au sens où le Dasein a conquis par lui une position stable. Le maintien du soi-même, au double sens de la fermeté de la stabilité, est la possibilité qui s’oppose à l’aliénation qu’implique la déchéance-dans-le-quotidien irrésolue. Sur le plan existential, le maintien-du-soi-même ne signifie rien d’autre que l’être-résolu qui devance. La structure ontologique de ce dernier révèle l’existentialité de l’ipséité du soi-même. (64.al. 12).

C’est dans l’esseulement originel inhérent à l’être-résolu qui, tout en se taisant, se charge d’angoisse, que le Dasein est authentiquement lui-même. En tant qu’il se tait, l’être-soi-même authentique, justement, ne dit pas « moi-je » ; au contraire, dans la propension à se taire, il « est » l’étant qui a été jeté-là comme celui qu’il peut être authentiquement. Le soi-même que révèle le mutisme inhérent à l’existence résolue est le sol phénoménal originel sur lequel s’appuyer pour poser la question de l’être du « je ». L’orientation phénoménale sur le sens d’être qu’a le pouvoir-être-soi-même authentique est à même de nous mettre en position de tirer au clair la légitimité ontologique qui peut être attribuée à la simplicité de donation et à la personnalité en tant qu’elles caractérisent l’ipséité. La question ontologique de l’être du soi-même doit être désolidarisée de l’acquis qui en fait une chose substantielle qui est en permanence donnée à entendre par la prédominance de l’acte de dire « je ». (64.al. 13)

Bien loin que le souci ait besoin d’être fondé dans un soi-même, c’est l’existentialité comme constituant du souci qui livre la constitution ontologique du maintien-de-soi-même du Dasein, auquel, conformément à la pleine teneur structurelle du souci, appartient la déchéance-dans-le-quotidien et l’aliénation dans le on. La structure du souci pleinement conçue inclut le phénomène de l’ipséité. La clarification de ce phénomène sera menée à bien en interprétant le sens du souci que nous avons déterminé comme totalité de l’être du Dasein. (64.al. 14)

§ 65 La temporalité en tant que sens ontologique du souci (23 al.)

La caractérisation de la « connexion » entre le souci et l’ipséité n’avait pas pour unique objectif de clarifier le problème particulier que pose le je, mais elle entendait servir aussi d’ultime préparation à la saisie phénoménale du tout structurel du Dasein. Nous avons besoin de la discipline sans faille qu’est le mode de questionnement existential faute de quoi le mode d’être du Dasein se retournerait, pour le regard ontologique, dans un mode de la substantialité. C’est dans l’existence authentique, laquelle se constitue en tant qu’être-résolu qui devance, que le Dasein montre son essence. Le mode d’être du souci qu’est l’authenticité renferme le maintien-du-soi-même originel et la totalité originelle du Dasein. Pour parvenir à dégager le sens ontologique de l’être du Dasein, il nous faut concentrer le regard afin de le comprendre de façon existentiale. (65.al. 1)

Sur le plan ontologique, que recherchons-nous en parlant de sens du souci ? Que signifie le sens ? Notre investigation a déjà rencontré ce phénomène, et ce dans le contexte de l’analyse de la compréhension et de l’explicitation |§ 32|. D’après cette analyse, le sens est ce dans quoi se tient la possibilité de comprendre quelque chose, sans que ce quelque chose vienne lui-même expressément au regard et soit pris pour thème. Le sens signifie ce sur quoi s’oriente la projection des possibilités, ce à partir de quoi quelque chose peut en venir à être conçu comme étant ce qu’il est. Projeter, c’est ouvrir des possibilités, c’est quelque chose de tel que rendre possible. (65.al. 2)

Dégager ce sur quoi s’oriente une projection, cela veut dire ouvrir ce qui est rendu possible par ce qui est ainsi projeté. Sur le plan de la méthode, ce dégagement réclame que l’on explore la transposition de l’existentiel à l’existential qui est le plus souvent implicitement sous-jacente à une telle explicitation, et cela de telle manière que, dans la transposition même en vienne à être ouvert et saisissable ce sur quoi elle s’oriente et ce qui est transposé. Mettre en évidence le sens du souci cela signifie donc : mettre en évidence la transposition sous-jacente à l’interprétation existentiale originelle du Dasein, laquelle transposition guide cette interprétation, et le faire de telle manière que devienne visible ce sur quoi s’oriente ce qu’elle a transposé. Ce qui est transposé, c’est l’être ouvert du Dasein dans ce qui le constitue en tant que pouvoir-être-total authentique. Ce à quoi ce qui est transposé répond en retour, à savoir l’être ouvert constitué de la sorte, est ce qui rend possible cette constitution d’être en tant que souci. Avec la question du sens du souci, c’est donc une autre question qui est posée : qu’est-ce qui rend possible le tout ordonné de la structure du souci dans son unité telle qu’elle a été déployée jusqu’ici ? (65.al. 3)

En toute rigueur, le sens signifie ce sur quoi s’oriente la projection primordiale qu’est la compréhension de l’être. Tandis qu’il comprend l’être de l’étant qu’il est, l’être-au-monde comprend co-originellement l’être de l’étant intramondain dévoilé, même si c’est de manière non thématique et sans que soient différenciés les modes primordiaux de son être que sont l’existence et la réalité. Toute expérience ontique de l’étant, aussi bien la préoccupation dans sa vue-native sur l’utilisable que la connaissance positivement scientifique de l’étant substantiel, est fondée sur des projections, plus ou moins transparentes selon les cas, de l’être de l’étant en question. Ces projections renferment en elles une perspective dont se nourrit la compréhension de l’être. (65.al. 4)

Lorsque nous disons : l’étant « a tel sens », cela signifie que cet étant est devenu accessible en son être, lequel, en premier lieu, dès lors qu’il est transposé vers ce à quoi il répond, « a du sens ». L’étant n’« a » de sens que parce que, étant d’entrée de jeu ouvert en tant qu’être, il devient, dans la projection d’être, c’est-à-dire en partant de ce sur quoi s’oriente cette projection, compréhensible. C’est la projection primordiale de la compréhension de l’être qui « donne » le sens. La question du sens de l’être d’un étant prend pour thème la perspective de la compréhension de l’être qui est sous-jacente à l’appréhension de l’être de l’étant. (65.al. 5)

S’agissant de son existence, le Dasein est ouvert à lui-même, et cela qu’il le soit de façon authentique ou de façon inauthentique. Dès lors qu’il existe il se comprend de telle façon que cette compréhension ne représente pas une compréhension pure mais constitue une compréhension existentielle et en situation de son pouvoir-être. L’être ainsi ouvert est celui d’un étant pour lequel il y va en cet être de cet être même. Le sens de cet être, c’est-à-dire le sens du souci, sens qui donc rend possible le souci dans sa constitution, est originellement pouvoir-être. Le sens d’être du Dasein n’est pas un quelque chose ne reposant sur rien et en suspens « en dehors » de lui-même, c’est au contraire le Dasein lui-même, tel qu’il se comprend. Qu’est-ce qui rend possible l’être du Dasein et, avec lui, l’existence du Dasein en situation ? (65.al. 6)

Ce qu’a découvert la transposition existentiale originelle de l’existence s’est révélé être l’être-résolu qui devance. Qu’est-ce qui rend possible cet être authentique du Dasein quant à l’unité du tout ordonné de sa structure ? Si on le saisit de manière formelle et existentiale, et cela désormais sans nommer en permanence son plein contenu structurel, l’être-résolu qui devance est l’être-ayant-en-perspective le pouvoir-être le plus authentiquement sien. Un tel être n’est possible que pour autant que le Dasein puisse parvenir à soi dans la possibilité qui est la plus authentiquement sienne et pour autant que, alors qu’il fait en sorte de parvenir à soi, il soutient sa possibilité en tant que possibilité, c’est-à-dire qu’il existe. L’acte de parvenir à soi qui soutient la possibilité de l’authenticité est le phénomène originel de l’à-venir. Dès lors que le parvenir à soi est ainsi déterminé, à l’être du Dasein appartient l’être-destinalisé-par-la-mort à venir, au sens que l’on vient d’indiquer et qu’il va nous falloir déterminer de façon plus exacte. En l’occurrence, « à-venir » ne désigne pas un maintenant qui n’est pas encore devenu « effectif », un maintenant qui ne le sera qu’un jour, mais il désigne la venue par laquelle le Dasein, dans son pouvoir-être le plus authentiquement sien, parvient à soi. Le devancement rend le Dasein authentiquement à-venir, et cela de telle sorte que le devancement lui-même n’est possible que dans la mesure où le Dasein, en tant qu’étant, parvient toujours déjà à soi, c’est-à-dire dans la mesure où, dans son être, il est à venir. (65.al. 7)

L’être-résolu qui devance comprend le Dasein dans son être-en-dette vis-à-vis-de-soi-même essentiel. Cette compréhension veut dire : assumer, en existant, l’être-en-dette vis-à-vis-de-soi-même, autrement dit être en tant que fondement de la négativité jetée-là. Mais prendre en charge l’être-jeté-là signifie être un Dasein, tel qu’à chaque fois il a déjà été. La prise en charge de l’être-jeté-là n’est possible de cette manière que si le Dasein à-venir a la possibilité d’être son « tel qu’il a été » le plus authentiquement lui-même, c’est-à-dire s’il a la possibilité d’être son « ce-qu’il-fut ». Ce n’est que dans la mesure où le Dasein est en tant qu’il-fut qu’il peut parvenir à soi-même de façon anticipante, revenant en arrière sur lui-même. Étant à-venir authentiquement, le Dasein est ce qu’il-fut authentiquement. Devancer le fond de la possibilité la plus authentiquement sienne c’est, pour le Dasein, revenir en arrière vers le « il-fut » et cela en comprenant ce qui est le plus authentiquement sien. Le Dasein ne peut être proprement ce qu’il-fut que pour autant qu’il est à-venir. D’une certaine manière le passé prend ainsi naissance dans l’avenir. (65.al. 8)

L’être-résolu qui devance ouvre la situation du là du moment, et cela de façon telle que, en agissant, le Dasein qui existe se préoccupe avec sa vue-native sur l’étant utilisable de ce qui relève du monde ambiant. Le fait d’être auprès de l’étant utilisable propre à la situation, et cela en étant résolu, c’est-à-dire le fait pour qui agit de se ménager la rencontre de ce qui est en présence comme l’est ce qui relève du monde ambiant n’est possible qu’en présentifiant cet étant. C’est seulement en tant qu’il est présentifiant que l’être-résolu peut être ce qu’il est : ce dont, en agissant, il s’empare, il en ménage la rencontre sans déguisement. (65.al. 9)

Alors qu’il revient en arrière sur soi et se projette par un voir-venir, l’être-résolu, en se présentifiant, se porte dans la situation. Le passé se rend présent en prenant naissance dans le voir-venir et cela de telle manière que le voir-venir de ce-qui-fut (ou mieux : ce-qui-est-en-train-d’advenir en tant que réinstanciation de ce-qui-fut) met, à partir de soi, le présent en liberté. Ce phénomène unitaire se présentant sous la forme d’un voir-venir qui présentifie ce-qui-fut, nous l’appelons la temporalité. C’est dans la seule mesure où il est déterminé en tant que temporalité que le Dasein se rend possible à lui-même l’être-résolu qui devance, être que nous avons caractérisé comme étant son pouvoir-être-total authentique. La temporalité se révèle ainsi être le sens du souci proprement dit. (65.al. 10)

La teneur phénoménale de ce sens du souci que nous avons puisée dans la constitution d’être de l’être-résolu qui devance, donne au terme de temporalité sa pleine signification. Dans notre terminologie, l’emploi de cette expression de temporalité a d’emblée pour rôle de tenir éloignées les significations habituelles d’« avenir », de « passé » et de « présent », lesquelles émanent du concept courant du temps. Cela vaut aussi bien pour les concepts de temps « subjectif » que de temps « objectif » ou encore de temps « immanent » à la conscience ou de temps « transcendant ». Dans la mesure où, de prime abord et le plus souvent, le Dasein se comprend lui-même inauthentiquement, on est en droit de présumer que la compréhension courante du temps représente un phénomène dérivé de cette inauthenticité. Il prend sa source dans un mode de la temporalité qui a lui-même sa propre origine dans le on. De prime abord, les concepts d’« avenir », de « passé » et de « présent » naissent ainsi d’une compréhension impropre du temps. Sur le plan de la terminologie, délimiter les phénomènes originels et propres qui leur correspondent entraîne la difficulté qui est attachée à toute terminologie ontologique. Dans ce champ d’investigation, une certaine violence terminologique ne relève pas du bon plaisir mais est au contraire une nécessité fondée dans la chose même dont il est question. Cependant, pour pouvoir mettre intégralement en lumière l’origine de la temporalité impropre depuis la temporalité originelle, il nous faut commencer par élaborer concrètement le phénomène de la temporalité, que nous n’avons, jusqu’ici, caractérisé que de façon rudimentaire. (65.al. 11)

Si l’être-résolu constitue une modalité du souci proprement dit, mais s’il n’est lui-même possible que par la temporalité, alors il faut que le phénomène qui a été conquis sous le nom d’être-résolu ne représente lui-même qu’une modalité de la temporalité, laquelle rend possible le souci en tant que tel. La totalité de l’être du Dasein en tant que souci signifie, on l’a vu : être en-avance-sur-soi de ce-qui-fut-dans-un-monde et cela en tant qu’être-auprès-de-l’étant intramondain présent. Lorsque nous avons, pour la première fois fixé cette structure ordonnée, nous avons attiré l’attention sur le fait que, en considération de cette ordonnance, il nous fallait pousser la question ontologique plus loin encore en amont, et ce jusqu’à dégager l’unité de de ce tout structurel |§ 41|. Il est maintenant possible de préciser : l’unité originelle de la structure du souci réside dans la temporalité. (65.al. 12)

Le voir-venir annonce l’avenir. En lui-même, le ce-qui-fut-dans-un-monde annonce le passé. L’être-présentifiant-le-là annonce le présent. Après ce que nous venons de dire, il va de soi qu’il ne nous est plus possible de saisir, à partir de la compréhension courante du temps, ce qui dans le « en-avance » est « après », et ce qui dans le « ce-qui-fut » est « avant ». Par « en-avance », nous n’entendons pas un « après » au sens de « pas-encore-maintenant mais après » ; « avant » ne signifie pas davantage « désormais-plus mais avant ». Si les expressions « voir-venir » et « ce-qui-fut-dans-un-monde » avaient ces seules significations temporelles, qu’elles peuvent d’ailleurs également avoir, alors parler de temporalité du souci reviendrait à dire que le souci est quelque chose qui est à la fois « avant » et « après », à la fois « pas-encore » et « désormais-plus ». Le souci serait alors conçu comme un étant qui paraît « dans le temps » et se déroule dans le temps. L’être d’un tel étant deviendrait alors celui d’un étant substantiel. Dès lors que le Dasein n’a pas le mode d’être d’un étant substantiel il faut que la signification des expressions en question soit autre. Le « voir-venir » indique l’avenir comme étant ce qui rend en tout premier possible que le Dasein puisse être tel qu’il y aille pour lui de son pouvoir-être. La projection du Dasein vers l’« à-dessein-de-soi-même » fondée dans le voir-venir caractérise l’essence de l’existentialité. Le sens primordial de l’existentialité est le voir-venir. (65.al. 13)

Pareillement, le « ce-qui-fut » désigne le sens, existential temporellement déterminé, de l’être de l’étant qui, pour autant qu’il est, a-été-jeté-là. C’est seulement parce que le souci est fondé dans le passé présentifié que le Dasein, en tant qu’étant qui-a-été-jeté-là qu’il est, peut exister. « Aussi longtemps » que le Dasein existe effectivement, il n’est jamais révolu, mais il est toujours ce qu’il a été au sens d’un « je suis ce que je fus ». Et ce qu’il a été, il ne peut l’être qu’aussi longtemps qu’il est. En revanche, nous qualifions de révolu un étant qui n’est plus substantiellement présent. C’est pourquoi, tandis qu’il existe, le Dasein ne peut jamais faire le constat de lui-même comme il le fait d’une réalité substantielle qui apparaît, qui passe « avec le temps » puis qui, progressivement, est révolue. Le Dasein ne « se trouve » jamais qu’en tant que fait originel qui a été jeté-là. Dans la tonalité affective, le Dasein est envahi par lui-même en tant que l’étant qu’il était, c’est-à-dire en tant que l’étant qui, en permanence, est ce qu’il a été. Le sens existential premier de la facticité réside dans le passé présentifié. Avec les expressions « voir-venir » et « ce-qui-fut » notre formulation de la structure du souci indique le sens temporel qu’ont, respectivement, l’existentialité et la facticité. (65.al. 14)

En revanche, une telle indication est manquante pour le troisième moment constitutif du souci : l’être-auprès-de-l’étant. Cela ne saurait signifier que la déchéance-dans-le-quotidien n’est pas fondée dans la temporalité, mais cela a vocation à suggérer que la présentification, dans laquelle est primairement fondé le fait que le Dasein succombe à l’étant utilisable et à l’étant substantiel dont il se préoccupe, reste incluse dans le voir-venir et dans le ce-qui-fut présentifié suivant le mode d’être de la temporalité originelle. Étant résolu, le Dasein est justement allé se rechercher, s’extirpant de la déchéance-dans-le-quotidien pour être authentiquement « là » dans l’« instant de son regard » sur la situation ouverte. (65.al. 15)

La temporalité unifie l’existence, la facticité et la déchéance-dans-le-quotidien, et elle constitue ainsi la cohésion de la structure du souci. Les moments du souci ne sont pas regroupés ensemble par accumulation ; la temporalité elle-même n’est pas davantage l’assemblage du voir-venir, du ce-qui-fut et de la présentification-du-là. La temporalité n’« est » pas un étant. Elle n’est pas, mais elle temporalise. La raison pour laquelle nous ne pouvons pourtant pas nous empêcher de dire « la temporalité est le sens du souci », ou « la temporalité est déterminée de telle ou telle façon » ne pourra être rendue intelligible qu’à partir de l’idée de l’être et de l’idée du « est » en général, une fois qu’elles auront été clarifiées. La temporalité temporalise les modes d’être eux-mêmes. Ceux-ci rendent possible la diversité des modes d’être du Dasein et avant tout les deux modes d’être fondamentaux que sont l’existence authentique et l’existence inauthentique. (65.al. 16)

L’avenir, le passé, le présent manifestent les caractères phénoménaux que sont l’acte de « parvenir-à-soi », l’acte de « revenir-sur-soi » et l’acte de « ménager-la-rencontre-de ». Les phénomènes que sont le soi, le revenir-sur, et le rencontrer, manifestent la temporalité en tant qu’ekstatikon. La temporalité est l’« en-dehors-de-soi » originel en soi-même et pour soi-même. C’est pourquoi les phénomènes du voir-venir, du ce-qui-fut, de la présentification-du-là, tels que nous les avons caractérisés, nous les appelons les ekstases de la temporalité ou les ekstases temporelles. Celles-ci ne sont pas des étants qui en viendraient à sortir de soi, leur essence au contraire est la temporalisation qui unifie les ekstases temporelles en une temporalité donnée. Ce qui caractérise le « temps » accessible à la compréhension courante consiste, entre autres choses, en ceci qu’en tant qu’il est conçu comme une suite de « maintenant », le caractère d’ekstase de la temporalité originelle qu’il recèle s’y trouve masqué. Mais ce masquage est lui-même un mode possible de temporalisation, mode conforme à la temporalité inauthentique ayant le sens d’un existential. Par suite, si nous parvenons à montrer que le « temps » qui est accessible au bon sens du Dasein n’est pas le temps originel, mais provient bien plutôt d’une temporalisation inauthentique, alors, conformément au principe selon lequel une dénomination doit être tirée du fondement du phénomène nommé, c’est à bon droit que la temporalité que nous aurons dégagée pourra être nommée temps originel. (65.al. 17)

Lorsque nous avons énuméré les ekstases temporelles, c’est le voir-venir que nous avons toujours nommé en premier. Cela vise à indiquer que dans l’unité des ekstases de la temporalité originelle le voir-venir a une primauté, et cela bien que la temporalité ne résulte pas d’une accumulation ni d’une succession des ekstases temporelles mais qu’elle se temporalise à chaque fois co-originellement à celles-ci. Car au sein de leur co-originarité les modes de temporalisation sont distincts. Et leur distinction repose en ceci que la temporalisation peut se déterminer en partant de chacune des ekstases temporelles. La temporalité originelle et authentique se temporalise depuis le voir-venir authentique, et cela de telle manière que le ce-qui-fut est tourné vers le voir-venir et éveille la présentification-du-là. Le phénomène primordial de la temporalité originelle et authentique est le voir-venir. Conformément à la temporalisation de la temporalité inauthentique, la primauté du voir-venir peut se voir escamotée. Toutefois, même dans le « temps » propre à la compréhension courante cette primauté apparaît encore. (65.al. 18)

Le souci est déterminé par l’être-destinalisé-par-la-mort. L’être-résolu qui devance, nous l’avons déterminé comme étant l’être authentique ayant pour perspective la possibilité d’une impossibilité absolue du Dasein. Dans un tel être-destinalisé-par-la-mort, le Dasein existe authentiquement et totalement en tant qu’étant-qui-fut « jeté-là vers la mort ». Il n’a pas une fin, dans laquelle il ne ferait que cesser d’être, mais il existe de façon finie. De ce fait, le voir-venir authentique qui, temporalisant la temporalité, constitue le sens de l’être-résolu qui devance se révèle lui-même comme fini. Et pourtant, en dépit du fait que moi-même je ne-sois-plus-là, « le temps ne continue-t-il pas de s’écouler » ? Et n’est-il pas possible qu’un nombre illimité de choses se trouvent encore « dans l’avenir », et en proviennent ? (65.al. 19)

À ces questions, il faut répondre par l’affirmative. Malgré cela, elles ne contiennent aucune objection à la finitude de la temporalité originelle, et cela parce qu’elles n’en traitent pas. La question n’est pas de savoir ce qui peut encore advenir « dans le temps restant à courir », ni quelle sorte d’occasion de parvenir à soi « tirée de ce temps » peut se présenter, mais c’est de savoir si l’acte de parvenir à soi est lui-même déterminé de façon originelle. La finitude de cet acte de parvenir à soi ne veut pas dire qu’il doit cesser mais caractérise la temporalisation elle-même. Le voir-venir originel et authentique est l’acte de parvenir à soi, autrement dit l’acte, en existant, d’atteindre une possibilité indépassable de sa propre négativité. (65.al. 20)

Le caractère d’ouverture du voir-venir originaire réside en ce qu’il clôt le pouvoir-être, autrement dit le voir-venir est lui-même clos, et, en tant que tel, il rend possible la compréhension existentielle, résolue, de la négativité. L’advenir-à-soi originaire est le sens de l’exister dans la négativité la plus authentique. Avec la thèse de la finitude originelle de la temporalité, nous n’entendons pas contester que « le temps continue à s’écouler », mais nous cherchons uniquement à fixer le caractère phénoménal de la temporalité originelle, lequel est obtenur par la transposition existentiale originelle du Dasein lui-même. (65.al. 21)

La propension à ignorer la finitude du voir-venir originel et authentique, et par là celle de la temporalité, voire de tenir la temporalité « à priori » pour impossible, provient du fait que la compréhension courante du temps s’interpose continuellement. Que cette dernière connaisse un temps sans fin et seulement ce temps là ne prouve pas qu’elle comprenne ce qu’est ce temps et son « infinité ». Que veut dire : le temps « continue de s’écouler » et « continue de passer » ? Que signifie l’expression « dans le temps » en général et, en particulier, que signifient les expressions « dans l’avenir » et « depuis l’avenir » ? En quel sens « le temps » est-il sans fin ? Si les objections courantes que l’on oppose à la finitude du temps originel ne veulent pas rester dépourvues d’assise, des questions de cette nature doivent être éclaircies. Mais on ne peut produire cet éclaircissement qu’à condition qu’ait été au préalable conquise une mise en question adéquate des concepts de finitude et de non-finitude. Toutefois, à la source de ce questionnement réside le regard porté sur le phénomène originel du temps. Le problème ne peut pas être posé en demandant : comment le temps « dérivé », infini, temps « dans lequel » l’étant substantiel naît et disparaît devient-il la temporalité originelle finie ? Il faut au contraire qu’il soit posé ainsi : comment la temporalité impropre prend-elle sa source dans la temporalité originelle ? Et comment, dans la temporalité impropre, le temps se temporalise-t-il pour tirer l’idée d’un temps infini à partir d’une temporalité finie ? C’est parce que la temporalité originelle est fini que le temps « dérivé » se temporalise comme infini. Dans l’ordre suivant lequel le Dasein saisit en la comprenant, la finitude de la temporalité ne peut devenir pleinement visible que si un « temps infini » est mis en évidence et opposé à ladite finitude. (65.al. 22)

L’analyse que nous avons conduite jusqu’ici de la temporalité originelle, nous la récapitulons dans les thèses suivantes : originel, le temps originel est une temporalisation de la temporalité, cette dernière rend possible la constitution de la structure du souci. Par essence, la temporalité est ouverture. C’est depuis l’à-venir que la temporalité se temporalise originellement. Le temps originel est fini. (65.al. 23)

Toutefois, l’interprétation du souci en tant que temporalité ne peut pas rester limitée à la base étroite qui a été conquise jusqu’ici, même si elle a effectué ses premiers pas en tenant le regard fixé sur l’être-total originel et authentique du Dasein. La thèse suivant laquelle le sens d’être du Dasein est la temporalité doit être confirmée à même la consistance concrète de cet étant dont la constitution fondamentale a été mise en évidence. (65.al. 24)

§ 66 La temporalité du Dasein et les tâches d’une reprise plus originelle de l’analyse existentiale (5 al.)

Le phénomène de la temporalité que nous avons dégagé réclame que sa puissance constitutive soit mise à l’épreuve de façon à en étendre la portée et afin que viennent sous le regard les possibilités fondamentales de la temporalisation. La justification du fait qu’il est possible, sur la base de la temporalité, d’établir la constitution d’être du Dasein, nous l’appelons, de façon ramassée et provisoire, l’interprétation « temporelle ». (66.al. 1)

Par-delà l’analyse temporelle du pouvoir-être-total propre du Dasein et une caractérisation générale de la temporalité du souci, notre tâche est de rendre visible, dans sa temporalité spécifique, l’« être-inauthentique » du Dasein. La temporalité s’est tout d’abord manifestée dans l’être-résolu qui devance. Elle est le mode propre de l’ouverture qui se tient le plus souvent dans l’inauthenticité inhérente à la déchéance-dans-le-quotidien que procure l’explicitation du on. La caractérisation de la temporalité de l’ouverture en général conduit à la compréhension temporelle de l’être-au-monde immédiat et préoccupé, et à la compréhension moyenne du Dasein, dans laquelle l’analytique existentiale avait tout d’abord pris son point de départ |§ 9|. Le mode d’être moyen du Dasein, mode dans lequel il se tient de prime abord et le plus souvent, nous le nommions la quotidienneté. En répétant l’analyse précédente, il nous faut faire se révéler le sens temporel qu’a la quotidienneté, et cela afin que la problématique contenue dans la temporalité vienne au jour et que se dissipe tout à fait ce qui, dans les analyses préparatoires, semblait « aller de soi ». Il convient en effet que la temporalité se vérifie dans toutes les structures de la constitution fondamentale du Dasein. Cela ne conduit toutefois pas à refaire tout le parcours des analyses effectuées jusqu’à présent dans l’ordre de succession où nous les avons présentées. Le cours de l’analyse temporelle, dirigé différemment, entend mieux faire comprendre la cohérence des considérations précédentes et en éliminer le caractère en apparence fortuit ou arbitraire. Au-delà de ces nécessités de méthode des motifs propres au phénomène lui-même se font toutefois valoir, motifs qui imposent que soit ordonnée différemment l’analyse. (66.al. 2)

La structure ontologique de l’étant « que je suis moi-même » est centrée sur le maintien de soi du Dasein qui existe. C’est parce que le soi-même ne peut être conçu ni en tant que substance ni en tant que sujet, mais qu’il est au contraire fondé dans l’existence, que l’analyse du soi-même inauthentique, autrement dit l’analyse du soi-comme-on, s’est déroulée sous l’égide d’une interprétation préparatoire du Dasein |§ 25|. Maintenant que nous avons expressément réintégré l’ipséité dans la structure du souci, et ce faisant dans la structure de la temporalité, l’interprétation temporelle du maintien-de-soi-même et du maintien-dans-l’aliénation-du-on prend un sens différent. Elle réclame d’être développée à titre de thème à part. Cette interprétation temporelle du on ne fera pas que fournir des garanties contre les paralogismes et contre les questions ontologiquement inadéquates de l’être du je en général mais procurera également un aperçu plus originel sur la structure de temporalisation de la temporalité. Cette structure se révélera être l’historicité du Dasein. Il s’avérera ainsi que la proposition « le Dasein est historique » est un énoncé ontologique fondamental requérant une interprétation existentiale. Cette proposition se tient fort éloignée d’une constatation simplement ontique de l’évidence selon laquelle le Dasein est pris dans une « histoire universelle ». L’historicité du Dasein est la base d’une compréhension de l’histoire, laquelle régit la possibilité de produire une science historique, c’est-à-dire une narration d’histoire. (66.al. 3)

L’interprétation temporelle de la quotidienneté et de l’historicité consolidera le regard que nous portons sur le temps originel, et cela de façon suffisante pour dévoiler ce temps originel comme la condition de possibilité de l’expérience quotidienne du temps. En tant qu’étant pour lequel il y va en son être de son être même, le Dasein s’affaire en priorité pour soi-même, qu’il le fasse expressément ou non. De prime abord et le plus souvent, pour lui, se soucier, c’est avoir une vue-native préoccupée sur « le monde ». Dès lors qu’il s’affaire à-dessein-de-soi-même, le Dasein se « consomme ». Dès lors qu’il se consomme, le Dasein a besoin de soi-même, c’est-à-dire a besoin de son temps. Ayant un tel besoin, il compte avec le temps. La vue-native préoccupée dévoile d’emblée le temps et conduit à la formation d’un décompte du temps. Compter avec le temps est constitutif de l’être-au-monde. Dans la préoccupation, c’est dans le temps que le dévoilement inhérent à la vue-native ménage la rencontre de l’étant utilisable et de l’étant substantiel. C’est ainsi que l’étant intramondain devient accessible comme « étant dans le temps ». La détermination d’être temporelle de l’étant intramondain nous la nommons l’être-pris-dans-le-temps [Innerzeitigkeit]. Le « temps » que l’on trouve de prime abord ontiquement dans l’être-pris-dans-le-temps devient la base sur laquelle va se configurer le concept courant et traditionnel du temps. Mais, en tant qu’être-pris-dans-le-temps, le temps provient d’un mode essentiel de temporalisation de la temporalité. Cette origine dit que le temps « dans lequel » l’étant substantiel naît et disparaît, est un phénomène temporel authentique et n’est pas l’extériorisation, sous forme spatiale, d’un « temps qualitatif », comme le veut l’interprétation de Bergson, interprétation qui, sur le plan ontologique, reste indéterminée et insatisfaisante. (66.al. 4)

L’élaboration de la temporalité du Dasein en tant que quotidienneté, historicité et être-pris-dans-le-temps donne un aperçu sur la confusion qui entoure l’ontologie originelle du Dasein. En tant qu’être-au-monde le Dasein en situation existe avec l’étant intramondain qui est présent dans sa proximité. Par suite, l’être du Dasein ne reçoit sa pleine transparence ontologique que par contraste avec, et sur l’horizon de, l’être de l’étant qui n’est pas à la mesure du Dasein, c’est-à-dire qu’il apparaît comme l’être d’un étant qui n’est ni utilisable ni substantiel. L’interprétation des modifications de l’être de tout ce dont nous disons « cela est » nécessite une idée suffisamment clarifiée de l’être en lui-même. Aussi longtemps que celle-ci n’aura pas été conquise, l’analyse temporelle qui répète celle du Dasein restera incomplète et entachée de zones d’ombre – sans qu’il soit possible ici de s’étendre sur les difficultés d’où cette situation résulte. De son côté, l’analyse temporelle et existentiale du Dasein demande à être répétée d’une façon renouvelée, et cela dans le cadre de la discussion principielle du concept d’être et de son sens. (66.al. 5)